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“Le mythe de la finitude terrestre”
José Ardillo
Article mis en ligne le 16 novembre 2012
dernière modification le 16 novembre 2013

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Réponse à Philippe Pelletier

Dans le numéro 25 de Réfractions j’ai publié un texte où est
abordée la question du malthusianisme et du populationnisme
dans la pensée libertaire depuis l’époque de William Godwin.
Dans ce texte, j’ai essayé de démontrer comment, depuis le
débat entre Malthus et Godwin, la question des limites physiques
et de l’écologie avait suivi un chemin paradoxal : s’il est
vrai que Godwin avait eu le mérite de dénoncer le cynisme de
classe et l’appareil pseudo-scientifique dont se servaitMalthus,
il avait aussi laissé la porte ouverte à un optimisme productiviste
clairement ancré dans le positivisme de son époque.
Cet optimisme s’est transmis au socialisme du XIXe siècle.
Ceci n’empêcha pourtant pas qu’au sein même du mouvement
libertaire voient le jour des courants et figures qui prirent
Malthus comme symbole pour asseoir l’idéal de l’émancipation
sur une écologie humaine et sociale naissante (préoccupation
pour l’épuisement des ressources, pour le déséquilibre
entre population et aliments, etc.).

Au XXe siècle, le débat s’enrichit de l’évolution de la science
écologique, des mouvements environnementalistes et des
apports de nouveaux courants anarchistes sensibles à la question
des limites.

Mon texte insistait sur le fait que beaucoup d’anarchistes
néomalthusiens, sans renoncer aux idéaux de justice et de
liberté, auxquels Malthus n’aurait évidemment jamais cru,
prirent en compte le problème de l’équilibre entre population
et ressources.

Dans le numéro 26 de Réfractions, Philippe Pelletier a fait
paraître un texte intitulé « le mythe de la finitude terrestre »
qui traite de l’écologie et de la démographie dans la pensée
anarchiste. Je sais que ce texte n’était pas une réponse aumien,
entre autres parce que Pelletier avait antérieurement fait paraître
des textes similaires. Soit,mais étant donné la similitude
des questions abordées et vu les énormes divergences, je pense
qu’il convient de répondre au texte de Pelletier pour éclaircir
quelques points.

D’après moi, Pelletier lance une attaque injustifiée à l’écologie.
Il parle de « naturalisme intégriste » et utilise cette étiquette
pour englober divers auteurs sans faire aucune
distinction ni introduire aucune nuance. Et, ce qui est plus
grave, il signale que ce « naturalisme intégriste » frôle la
misanthropie. Quel sens y a-t-il par exemple à taxer Rachel
Carson de naturalisme intégriste ou demisanthropie ? Comme
vous le savez, Carson était biologiste, spécialiste des biotopes
marins. Elle a beaucoup écrit sur la vie des océans, et en 1962
a publié son fameux livre, Le printemps silencieux, qui participa
à lever un grandmouvement de condamnation des pesticides.
Où est la « misanthropie » ?1

Mais passons à des choses plus sérieuses. La vision particulière
de l’écologie de Pelletier vient, selon moi, d’une confusion
ou d’une simplification inexplicables pour un critique si
sévère de cette discipline. En effet, Pelletier paraît déterminé à
révolutionner nos conceptions sur les cycles de récupération
des écosystèmes et la conservation des ressources. S’il reconnaît
que les minerais et les hydrocarbures sont épuisables (et
irremplaçables), il n’hésite pas à considérer que l’eau et « les
sols non épuisés » (sic) sont renouvelables. Voilà l’origine de
l’erreur qui en induit d’autres. Il est admis que le problème ne
réside pas dans la quantité totale d’eau contenue dans la biosphère,
mais dans la distribution de ce précieux élément sur
les terres émergées et sous une forme qui peut être utile à l’humanité.
Au premier abord il est facile d’admettre que la quantité
d’eau dans la biosphère est stable. Mais l’observation de
changements, dans lesquels peuvent intervenir les phénomènes
naturels ou l’activité humaine, enseigne qu’un territoire peut
être privé d’eau. Pour cause de déforestation ou de pratiques
agro-pastorales par exemple, certaines zones de la planète se
désertifient, ce fait étant bien documenté dans un livre pionnier
de l’écologie, Our plundered planet (1948) de F. Osborn ou
dans Road to survival (1948) de W. Vogt. Mais l’eau peut aussi
être détruite. C’est-à-dire que pour certaines raisons (pollution
chimique ou radioactive) de grandes quantités d’eau peuvent
être rendues inutilisables pour l’usage humain et sur une
longue durée. Dans ces cas-là on observe des phénomènes de
disparition de la biodiversité et les populations humaines qui
en dépendent se retrouvent en danger. Il est vrai qu’à l’échelle
géologique (de millions d’années) certains phénomènes de
déplacement d’eau ou de pollution n’ont pas grande importance,
mais à l’échelle de la vie des peuples, ils sont clairement
déterminants.

Pelletier nous dit en se référant à l’eau : « il existe donc
d’énormes réserves en eau potentielles pour l’humanité ». C’est
certain, mais le problème réside justement dans sa « potentialité
 ». Si la dégradation d’un écosystème déterminé provoque
la diminution considérable de l’eau, une société humaine peut
se voir obligée à réaliser un investissement technique extraordinaire
pour compenser cette perte. Et dans le cas où ceci est
possible cela ne se fait pas sans un coût écologique et humain
énorme.Ainsi donc une politique de conservation et de sauvegarde
a dans tous les cas bien plus de sens qu’une politique
lancée dans l’innovation technologique (exemple de la géoingénierie).

Mais Pelletier semble contredire lui-même ses arguments,
particulièrement quand il parle de sécheresses produites « le
plus souvent [par] une surexploitation agro-pastorale ». En
effet, si indépendamment des causes on admet qu’un territoire
défini peut connaître une sécheresse durable, alors on est forcé
d’admettre le caractère non renouvelable de l’eau pour cette zone.
Car une fois détruits les traits caractéristiques, le plus souvent
fragiles, d’un écosystème déterminé, et à l’échelle temporelle
qui nous intéresse, la raréfaction ou l’épuisement d’une ressource
peut être considéré comme définitif… Ce qui, bien
entendu, est signalé par la pensée écologiste depuis des
dizaines d’années. Il paraît étrange que Pelletier veuille nous
éclairer en disant : « Non, l’assèchement de la mer d’Aral n’est
pas une catastrophe naturelle », car qui dit que c’est le cas ? Et
il poursuit « mais une conséquence écologique d’une politique
humaine ». Mais bien sûr ! Voilà ce que la pensée écologiste et
bien des écologistes honnêtes dénoncent depuis bien longtemps.
N’importe qui connaissant un tant soit peu la littérature
écologiste ne peut l’ignorer.

Pelletier commet d’autres erreurs notamment quand il prétend
que la déforestation (dans le cas des forêts amazoniennes),
pour pouvoir continuer à alimenter plus de population, ne
porte pas à conséquence, l’important étant de continuer à
alimenter l’humanité. Le problème est évidemment mal posé.
Ni dans une société capitaliste et bourgeoise, ni dans une
hypothétique société émancipée et libertaire, on ne pourrait
oublier que la pression continue sur les forêts, les rivières et les
écosystèmes en général constitue un danger à plus ou moins
long terme pour cette humanité que Pelletier paraît déterminé
à protéger de la faim. Il n’est pas besoin d’être un écologiste
convaincu, ni un biocentriste ni rien d’approchant pour
remarquer que le système capitaliste est criminel non seulement
parce qu’il exploite et domine les populations,mais aussi
parce qu’il les force à un mode de vie irresponsable, vidé de
toute autonomie, où il n’y a pas de place pour une relation
consciente et prudente avec le milieu naturel. La « faim » dans
le monde n’est pas seulement le résultat de l’existence d’une
classe dirigeante malveillante, d’une injustice « distributive »,
mais elle est aussi la conséquence d’un système de domination
pour la compréhension duquel il faudrait analyser la notion de
richesse, d’abondance matérielle, de confort, etc. Et c’est cela la
grande contribution de la pensée écologiste la plus simple. Ceci
échappe sans doute à Pelletier : l’écologie, en mettant l’accent
sur la culture matérielle et les nécessités, a révélé une dimension
ignorée de la problématique sociale. Ce qu’ont fait de cette
analyse (quelles leçons historiques, quelles stratégies politiques,
etc.) la plus grande partie des militants écologistes, c’est
une autre chose.

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