Depuis le 25 mai 2011, les places centrales de toutes les villes
de Grèce, et notamment celle de la Constitution à Athènes
face au Parlement (désormais connue sous son nom grec de
Syntagma), semblent retrouver la signification qu’elles avaient
quasiment perdue depuis vingt ans, celle d’un espace de socialisation,
d’échange d’idées et de discussions de toutes sortes. L’auteur de cet
article se rappelle des places – et aussi des rues et des quartiers – des
villes grecques comme de lieux de rencontre, où se nouent des amitiés,
et plus généralement, de réaffirmation de l’appartenance à la
communauté.
Cependant, ce mouvement de réappropriation des places a lieu à un
moment où le pays se trouve, littéralement, en état de siège.Les accords
passés il y a un an avec la fameuse troïka FMI-BCE-Commission
européenne, prévoient, entre autres, la concession de la souveraineté
nationale en cas d’insolvabilité. Le pillage de toutes les richesses du
pays est légitimé, pour la première fois de son histoire, par un accord
officiel de son propre gouvernement. L’état psychologique engendré
par une telle situation est aussi renforcé par le discours politique
dominant émis par les médias grecs et européens, qui vise à culpabiliser
les « paresseux » grecs, désignés comme seuls responsables de tous
leurs maux.
Digression historique
Depuis la fin de la dictature en 1974, le régime grec de démocratie
représentative a fonctionné presque exclusivement sur le mode du
clientélisme et du gain politique. Les politiciens et la plus grande part
de la population (des classes dominantes à la petite bourgeoisie) se
sont entendus afin de s’enrichir via trois sources principales : les fonds
de l’État, les diverses subventions
européennes et la surexploitation des
immigrés. Surtout après l’adhésion à la
Communauté européenne en 1981, le
délabrement de la production agricole et
industrielle a conduit à une économie
dépendante des commandes publiques,
des services (tourisme) et du bâtiment et
surtout, à une économie et à une
consommation à crédit. D’un autre côté,
une part importante du PIB grec –
jusqu’à 30% – est constituée de l’économie
parallèle, de la fraude fiscale et des
activités illégales (drogue). Parallèlement,
il y a eu une vague importante de luttes
ouvrières et sociales depuis les années
1960, qui a connu son apogée entre 1974
et 1981,moment où la social-démocratie
a entrepris d’apaiser les tensions sociales.
Cette situation a abouti à un syndicalisme
discrédité et bureaucratisé, à une
gauche cantonnée à des luttes revendicatives
et à un discours sensiblement
atténué, et à un mouvement anarchiste
qui, après la fin de ses « quatre-vingt
glorieuses » et jusqu’à décembre 2008, est
resté confiné à ses squats et à son milieu traditionnel
.