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Déambulations révolutionnaires in-actuelles
Hector Bufö
Article mis en ligne le 29 avril 2011
dernière modification le 29 avril 2013

par *
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S
ans doute le fait d’être né
au tout début des années 1980 explique-t-
il beaucoup de choses. L’enfance saturée de dispositifs, la voiture, les séries télé
et les jeux vidéo
.
Et puis un début de vie d’adulte sous des augures politiques
absolument catastrophiques, de manifestations ritualisées pour ne jamais rien changer
en élections délirantes de mauvaise foi, de la fête de l’Huma aux débats télévisés menés
par Arlette Chabot.
Comment croir
e
en la gauche quand on sait que la BAC
a
été créée
par le Parti socialiste ? Comment croire en la révolution quand les organisations qui
s’en réclament en appellent à la « responsabilité » et à la « respectabilité » ?

C’est de là que je pars, comme beaucoup de ma génération. D’un vide politique
certain,
d’une absence massive de perspectives révolutionnair
es, d’une société de
divertissements aussi « fun » que policière.

Et pourtant.

Et pourtant,
je n’ai jamais cru à la société du spectacle,
ni plus à l’èr
e
du vide,
et ces
critiques,
à
mes oreilles comme à celles de beaucoup d’autres, sonnent toujours un peu
creux, comme une répétition usée et fade. La critique ne nous en dit pas plus sur l’époque
que n’importe quel blockbuster d’anticipation bien ficelé (cf. le film
Minority Report
).

Il y a eu Seattle en 1999 et,
deux ans plus tar
d, Gênes, avec leurs cortèges de
paradoxes, ATTAC réclamant un RMI universel et à côté, ceux que la télé s’est mis à
appeler les Black Blocs. N’empêche que, malgré la télé, les black blocs, ils ont attiré notre
attention.Tout d’un coup, certains mettaient en geste la critique, le champ de bataille des
rues de Gênes, ces gens de notre âge, encagoulés et déterminés à affronter autre chose que
le vaporeux spectacle, préparés même pour affronter la réalité crue d’un bataillon de
gardes mobiles. Alors on est allé à Evian, en 2003, voir si de là pouvait naître une force
qui cette fois pourrait l’emporter. Quelle n’a pas été notre déception ! Un rapport de
for
ces intenable,
des organisations libertaires soucieuses uniquement du nombre de
manifestants,
de la couleur des dr
apeaux et du sidér
ant contrôle de la « horde de teufeurs
dépolitisés » menaçant de venir foutre en l’air leur kermesse, des blacks blocs n’existant
pour la plupart déjà plus autrement que pour et par leur déguisement.

À
ce moment-là, on est beaucoup à être
retournés dans nos villes, on s’est mis à ouvrir
des squats, pour revenir dans le quotidien, pour
attester de ce que la politique avait bien lieu là,
tous les jours, dans « l’enfer vidéosurveillé ». Il
était alors déjà question d’une offensive
constante et discrète, dans les interstices des
dispositifs de contrôle, une offensive qui n’avait
de sens que parce qu’elle mettait en jeu une vie
partagée : le vol de livres pour monter une
bibliothèque collective, de bouffe luxueuse pour
pouvoir faire des banquets dignes de ce nom.
Des concerts de punk rock organisés à notre
sauce, des manifs sauvages improvisées,
occasionner çà et là mais de manière constante
des dégâts matériels, rendre possibles des
échanges de savoir-faire subversifs. On a essayé
de rendre
la ville habitable,
tant bien que mal,
en acceptant,
souvent à contrecœur, le ghetto
qu’on s’était fabriqué.

Les choses ont radicalement changé en
novembre 2005. Les émeutes, l’ampleur de
l’évènement, leur force au-delà même des
frontièr
es,
la peur qu’elles ont générée dans les
arcanes du pouvoir. Et puis, juste derrière, un
mouvement CPE qui ne ressemblait à aucun
autr
e
des mouvements étudiants auxquels nous
avions participé, débordé bien au-delà de ses
revendications par des formes de vies aussi
inattendues qu’exceptionnelles (les blocages de
gares et les occupations intenses et habitées des
facs).
Et puis les émeutes partout en F
r
ance le
soir de l’élection de Sarkozy
, Villiers-le-Bel et
ses 100 flics blessés, les manifs sauvages des
lycéens en
2007 et 2008, le retour de l’action
directe dans les conflits ouvriers, le centre de
rétention de Vincennes qui crame, les écoles
occupées et l’opposition dir
ecte de certains
enseignants et parents à l’expulsion de sans-
papiers. Depuis 2005 donc, on se sent moins seul. Et même les grandes métropoles se mettent
par à-coups à redevenir habitables, autrement
q
ue dans l’entre soi et de manière purement
négative.

Cette déambulation débute sur une
autoroute, n’importe laquelle, « là où le
maximum de circulation coïncide avec le
maximum de contrôle », là où « rien ne se
meut qui soit à la fois incontestablement
libre, et strictement fiché, identifié,
individué par un fichier exhaustif des
immatriculations »
1
. L’autoroute, c’est la
figure paradigmatique de l’époque, figure
de l’auto-contrôle, elle laisse filer ceux dont
elle connaît irrémédiablement la position à
tout moment,
elle distribue chaque voiture
dans le flot de la circulation, elle
singularise,
elle individualise,
isole et
distingue. Figure ondulatoire, l’autoroute
produit ce que Tiqqun pourrait désigner par
des modulations de la présence,
tantôt
absence, tantôt présence émancipatrice et
accroissement de puissance, le plus
souvent présence de basse intensité,
de
mauvaise qualité, à l’image des infor-
mations enregistrées par les caméras de
sur
veillances.
Une liberté conditionnée par
l’inclusion au sein de flux déjà là et bien
réels (mais aussi de statistiques,
de codes),
une liberté polarisée par la circulation, à
vitesses rapides et constantes, une « mise
en orbite,
sur faisceau continu »,
dans la
ouate des dispositifs, dans un monde où
l’accident ne consiste qu’en un risque
prévisible.
Seule la légère
angoisse du
passage à la frontière (lorsque l’espace
illimité se rétrécit en un goulet étroit et que
le temps s’éternise soudain) rappelle
l’instance de tri qui opère
en silence
 :
« N’y
aurait-il pas seulement une chose, quelque
oubli ou acte délictueux, qui m’empêche de
franchir ce portique
 ? »

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