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Faut-il chercher dans la nature un fondement des valeurs morales ?
Annick Stevens
Article mis en ligne le 31 décembre 2010
dernière modification le 31 décembre 2011

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Il est tentant, lorsqu’on souhaite répandre certaines valeurs
morales et en disqualifier d’autres, de chercher à justifier
ses préférences en donnant aux comportements que l’on
prône une origine naturelle, en espérant garantir ainsi leur nécessité
ou leur préférabilité.

Ainsi, depuis le XIXe siècle et jusqu’à maintenant, le capitalisme
se présente comme le système économique le plus naturel
et le plus incontournable, parce qu’il serait fondé sur une loi
naturelle régissant non seulement le genre humainmais toutes
les espèces vivantes, à savoir la compétition et la sélection des
individus les plus aptes. L’idéologie de l’individualisme compétitif
existait bien avant la découverte darwinienne de la sélection
naturelle,mais celle-ci a permis de la renforcer au point
de devenir une hégémonie de la pensée dans tous les champs
du savoir et de l’action. La réaction des mouvements révolutionnaires
contre cette idéologie s’est également exprimée dans
l’ensemble de ces champs, et l’ouvrage de Kropotkine sur l’entraide
comme facteur de l’évolution en est l’expression sur le
terrain des sciences de la vie. Son apport scientifique est d’un
intérêt incontestable, et ce n’est pas un hasard s’il est actuellement
redécouvert et mis à l’honneur par nombre de spécialistes
de l’évolution qui ignorent tout de sa pensée politique.

Cependant, il me semble qu’une confusion est souvent
commise à la fois dans les publications scientifiques et dans
les publications militantes, d’une part entre les notions d’entraide
ou de coopération et celle de morale, et, d’autre part,
entre la transmission génétique et la transmission culturelle
des comportements. Seule la transmission génétique de comportements
déterminés par les gènes et conférant un avantage
adaptatif et reproductif peut faire
l’objet d’une sélection naturelle.Une
transmission, par apprentissage ou
imitation, de comportements non
strictement déterminés par les gènes
mais pouvant être adoptés ou non,
peut éventuellement conférer un
avantage à un certain groupe par
rapport aux autres, mais on ne peut
en inférer que toute transmission
culturelle, à l’instar d’une transmission
génétique, se maintient parce
qu’elle est avantageuse. Si l’on veut
réfléchir à cette question, on ne peut
ignorer le débat déjà ancien et très
fourni dans le champ de l’ethnologie
et de l’anthropologie, entre les explications
fonctionnalistes des institutions
sociales et les explications
basées sur l’arbitraire créatif et la liberté
des acteurs. En outre, que l’on
parle d’une transmission génétique
ou d’une transmission culturelle, il
est important de ne pas confondre
n’importe quel comportement coopératif
avec de la morale. En effet,
pour qu’un acte soit moral, il faut
que l’acteur ait le choix entre plusieurs
comportements possibles et ne
soit entièrement déterminé ni par
une nécessité génétique ni par une
nécessité sociale : un actemoral suppose
la liberté et la responsabilité de
l’acteur. Mais ce n’est pas tout, car
sinon le choix de manger une
pomme ou une poire serait un acte
moral. Il faut que l’acte implique un
conflit de valeurs. Il faut que l’une
des conduites puisse être jugée
« bonne » et l’autre « mauvaise »
selon certains critères communs au
groupe. Il n’y a, par conséquent, pas
de morale hors d’une société assez
évoluée pour que ses membres passent,
d’une manière ou d’une autre,
certains accords sur ce qui est permis
ou interdit, sanctionné positivement
ou négativement. Que cela ne se
trouve que chez les humains ou
aussi chez certains singes, peu importe.

Ce qui est sûr, c’est que pour
comprendre l’origine de la coopération
il faut la distinguer de l’origine
de la morale, et, quant à la notion
d’entraide qu’a valorisée Kropotkine,
il faut la considérer non comme limitée
à une signification morale
mais comme concernant toute collaboration,
protection, dévouement
d’un animal envers un autre, quelle
que soit son origine ou sa motivation.
En la considérant de cette
manière, on peut effectivementmontrer
par de multiples exemples,
comme l’a fait Kropotkine, que la
coopération est bien un facteur de
l’évolution dans la mesure où elle
donne un avantage sélectif à un
groupe ou à une espèce1. Cependant,
il faut bien dire que le langage des
scientifiques entretient souvent l’ambiguité,
en parlant systématiquement
d’altruisme et d’égoïsme, tout
en revendiquant un usage non intentionnel,
par conséquent non
moral, de ces termes.

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