Le syndicalisme constitue l’un des principaux champs d’intervention des
militants anarchistes. Nous avons voulu à travers un entretien aborder la question du lien entre engagement libertaire et féministe dans le cadre du militantisme syndical. Nous avons donc essayé de donner un éclairage sur cette question au travers d’une pratique spécifique d’une militante féministe et libertaire, qui est celle de la formation. Corinne est militante salariée au Planning familial et active dans une organisation libertaire.
Elle a animé plusieurs formations « genre » pour un public de
syndicalistes.
Réfractions : En quoi consistent les formations « genre » que tu as animées pour SUD-PTT et Solidaires ?
Corinne : Il faut en rappeler l’origine, qui date de 2004. La commission Femmes de SUD-PTT voulait impulser des modules spécifiques dans le programme de formation syndicale, qui permettent aux syndiqué-es de s’approprier les outils de lutte pour l’égalité hommes-femmes au travail comme dans l’ensemble de la société. Jusque-là, le lien entre syndicalisme et féminisme était plutôt abordé dans les formations de base comme un aspect parmi d’autres de l’histoire du mouvement ouvrier. Les militantes de la commission constataient dans leur activité quotidienne des carences dans la conscience des inégalités sexuées, la méconnaissance des dispositifs légaux et syndicaux en la matière, la minorisation des luttes pour les droits des femmes et pour l’égalité qui disparaissaient des pratiques syndicales si elles n’étaient pas portées par quelques féministes convaincues. Sans compter le sexisme « banalisé » présent dans le milieu syndical comme ailleurs.
Parallèlement, nous étions une poignée au Mouvement français pour le planning familial (MFPF) à penser que nous n’étions pas assez en lien avec le monde salarié. Par le passé, le MFPF avait mené des actions dans les boîtes avec des syndicats : permanences, débats, argumentaires…
Lorsque SUD-PTT a sollicité le MFPF pour concevoir ensemble un stage
syndical, j’ai appuyé le projet. J’étais par ailleurs syndiquée à SUD-Santé-Sociaux. Sans détailler plus, disons que le projet ne s’est pas concrétisé entre le MFPF et SUD-PTT, mais je m’y suis investie à titre « personnel ». Depuis, cette formation est proposée par Solidaires sous forme de stages de deux ou trois jours, à Paris où en régions, ouverts aux syndiqué-es. L’intention centrale pourrait être résumée ainsi : qu’est-ce qui fait encore résistance au passage de l’égalité formelle à l’égalité réelle ? Quel rôle le syndicalisme peut-il jouer à cet égard ?
— Quels sont leurs objectifs ?
C. : Il s’agit donc de stages qui associent une réflexion sur les rapports de genre et l’apport de connaissances sur les lois, les dispositifs pour l’égalité professionnelle et leurs usages dans le monde du travail. Il s’agit d’ouvrir le débat sur les représentations sexuées, les stéréotypes de genre, et les pratiques et institutions sociales qui les mettent en acte et les perpétuent, avant d’aborder la question des inégalités et des outils de lutte. Une grande partie de la formation se centre de ce fait sur la division sexuelle du travail domestique et professionnel. Mais, pour comprendre cet aspect du système matériel et symbolique de domination et d’exploitation, il faut pouvoir nous interroger sur nos propres représentations et pratiques sexuées, dans toutes les dimensions de notre vie sociale.
Nous avons emprunté au Planning des exercices, des jeux, qui
permettent de repartir de sa propre expérience pour la réinscrire dans
une dimension collective. C’est une étape qui nous semble indispensable à la mise en oeuvre effective d’actions de lutte. Nous pouvons du coup aborder autant des questions liées à la sexualité que la dernière jurisprudence en matière d’égalité professionnelle. C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’articuler la perspective d’une association féministe d’éducation populaire et d’un syndicat ou d’une union syndicale de transformation sociale.
La pratique des stages nous a démontré, bien plus que nous ne l’avons anticipé a priori, que l’angle d’attaque « Femmes » ouvre sur l’ensemble des transformations du monde du travail, des reculs des droits sociaux, des discriminations. Rien d’étonnant à cela : la situation des femmes (et des immigré-es) est un miroir grossissant des expérimentations libérales à l’oeuvre, et on peut soutenir l’idée que les avancées obtenues pour les unes peuvent avoir des répercussions pour toutes et tous.
— Comment penses-tu que les syndicalistes peuvent mieux prendre en compte la question du genre dans leur pratique syndicale ?
C. : Les militant-es rencontré-es au cours des stages ont heureusement elles-mêmes et eux-mêmes des idées, particulièrement lorsqu’on prend du temps pour se poser et y penser. Il peut d’abord s’agir de faire vivre les droits existants. L’arsenal législatif est plutôt consistant, même s’il est
encore à améliorer. Il est surtout bien peu utilisé. Ce qui ramène à la
question de la prise de conscience, de l’information et de la sensibilisation aux questions féministes. L’usage des heures d’information, la parution de tracts ou de dépliants comme celui de SUD-Travail sur les violences faites aux femmes, la préparation de débats sur ces thèmes ou encore la participation à des événements comme les Intersyndicales-Femmes sont souvent évoqués par les stagiaires. Mais l’essentiel reste la volonté des équipes syndicales d’en faire une question à la fois spécifique (je veux dire non réductible à la lutte des classes) et transversale aux luttes et à l’organisation interne. Ce qui interroge notamment les objectifs comme les modes de fonctionnement (horaires de réunion, organisation de la prise de parole, constitution de l’ordre du jour…) des équipes.
Peut-être faut-il rappeler ici que non seulement le syndicalisme ne
peut faire l’économie d’une situation spécifique qui concerne près de 50
% de l’effectif salarié aujourd’hui, mais qu’il y va aussi de son
renouvellement.
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