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Jean-Pierre Garnier
La « société du risque » : une peur qui rassure ?
Jean-Pierre Garnier
Article mis en ligne le 2 décembre 2008
dernière modification le 6 septembre 2010

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Le gouvernement par la peur est une recette aussi vieille que
la domination. Depuis l’Antiquité jusqu’aux dictatures
bureaucratiques et policières qui continuent de sévir ici et là sur
la planète, en passant par les régimes totalitaires de funeste mémoire,
les gouvernants n’ont jamais renoncé à inspirer la crainte pour obtenir
l’obéissance des gouvernés. Néanmoins, on sait, sans même avoir lu les
Cahiers de prison de Gramsci, qu’il s’agit là, au moins sur le long terme,
d’une politique… à risques, et que pour obtenir des dominés
l’acceptation de leur condition, le consentement vaut toujours mieux
que la coercition. Multiples sont les moyens d’y parvenir, et c’est à leur
aune que l’on mesure d’ordinaire les avancées « démocratiques » de
l’oligarchie capitaliste1. L’un d’eux, d’apparition récente, mérite de
retenir l’attention dans la mesure où, par suite d’un retournement qui
pourra paraître à première vue paradoxal, la peur en constitue à
nouveau l’ingrédient principal, mais instrumentalisée de telle sorte
qu’elle se transmue en adhésion.

Cette étrange alchimie opère en trois temps, dont chacun
correspond à la composante idéologique spécifique qu’il conviendra
d’introduire dans les « cerveaux disponibles », pour reprendre la
formulation d’un grand prêtre de la manipulation médiatique de
masse. Le premier temps, celui de l’inquiétude, voire de l’angoisse, sera
consacré à déverser dans lesdits cerveaux toutes les bonnes (ou, surtout,
mauvaises) raisons de s’effrayer du monde tel qu’il va… ou ne va pas,
afin de persuader leurs détenteurs qu’ils vivent dans une société
désormais régie par « le risque ». Le deuxième temps est celui de la
conjuration. « Le risque », sous ses différentes facettes, sera exorcisé
grâce à l’application à toutes fins utiles d’une panacée à vocationLe troisième temps est celui du
soulagement provoqué par l’annonce de
la bonne nouvelle : la possibilité d’un
« développement durable ». Un soulagement
sous conditions, toutefois, et
toujours provisoire, qui explique que ce
troisième temps ne soit pas le dernier –
nous verrons comment –, les deux autres
devant être sans cesse réactualisés pour
que celui-ci exerce pleinement ses effets.

De ce qui précède ressort l’un des
traits majeurs qui distingue la peur,
brutale, diffusée dans le corps social,
propre aux régimes où l’oppression rime
avec la répression, de celle, insidieuse,
que l’on instille dans les esprits « en
démocratie » pour s’assurer de leur
docilité. Dans un cas, la menace vient
expressément du pouvoir d’État luimême ;
dans l’autre, elle vient
d’« ailleurs », encore qu’avec la notion de
« société du risque » – nous y reviendrons
– on ne sait plus trop qui menace qui : la
société, en créant « le risque », ou celui-ci,
en pesant sur celle-là. Quoi qu’il en soit,
la peur n’émane pas de la même source,
du moins pour qui doit la ressentir. Car,
bien qu’il se veuille libéral et non
autoritaire, on va voir que, dans sa
version « démocratique », c’est encore
l’État, en y incluant ses différentes
branches locales décentralisées et les
officines para-étatiques qu’il subventionne,
qui orchestre la peur. Autre
caractéristique qui le différencie nettement
de ses versions dictatoriales, il
bénéficie du concours d’une foule
d’exécutants qu’il n’est même pas besoin
de mener à la baguette. Certains, même,
se sont chargés de donner le la sans
qu’on le leur ait demandé. C’est donc par
eux, chronologie oblige, que l’on
commencera pour entreprendre de
déchiffrer ou, plus exactement, de
décrypter la partition de cette petite
musique du « risque » devenue de plus en
plus assourdissante.

Le risque tous azimuts
ou comment acclimater à la peur

Selon les supputations de prophètes très
écoutés – notamment par les politiciens
adeptes de la « troisième voie » sociallibérale
– des temps post-modernes, tels
le philosophe Ulrich Beck ou le
sociologue Anthony Giddens2, « nous »
serions déjà entrés dans une « société du
risque », aussi différente de la « société
industrielle » que celle-ci l’était de la
« société agraire » qui l’avait précédée.
Passons, pour y revenir plus loin, sur ces
qualificatifs qui font bon marché des
rapports sociaux de production qui
structurent (ou ont structuré) ces
sociétés, orientent leur développement
et, pour ce qui est des deux dernières, les
définissent d’abord comme capitalistes,
avec tout ce que cela implique quant aux
valeurs et aux finalités auxquelles obéit
leur fonctionnement. Ce qui gêne au
premier abord dans l’assertion évoquée
plus haut, c’est le pronom qui précède
l’énoncé : « nous ». Au premier abord
seulement car on va voir que son
utilisation n’est, en réalité, pas étrangère
à l’occultation qui vient d’être mentionnée.

Elle en est même l’un des
corollaires obligés.

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