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Annick Stevens
Comment reprendre en mains le pouvoir politique
Article mis en ligne le 7 juillet 2008

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Nos vies manquent cruellement de pouvoir politique.Tout
nous échappe, tout est régi sans notre intervention. Il ne se
passe pas un jour sans qu’une nouvelle loi, un nouveau décret,
vienne réglementer, limiter, interdire l’une ou l’autre activité. Que cela
concerne la production économique, les institutions judiciaires,
l’enseignement public ou l’aménagement du territoire, jamais les
acteurs principaux ne prennent part aux décisions. Le pouvoir de
décider pour tous est confisqué par une petite classe, plus ou moins
endogame et auto-reproductrice, de professionnels sur lesquels seules
les puissances financières ont de l’influence. Pour le particulier, presque
plus rien n’est permis, presque plus rien n’est possible.

La nécessité du pouvoir politique

Il me semble important de penser que, dans une société anarchiste,
c’est bien de pouvoir politique que l’ensemble des membres jouiraient,
et que ces deux termes, « pouvoir » et « politique » doivent être
revendiqués positivement lorsque nous tentons de faire progresser
notre type d’organisation collective. Ceci demande, en premier lieu, de
refuser les dérives par lesquelles le sens péjoratif des termes tend à
s’imposer exclusivement. On ne doit pas toujours reculer devant les
avancées de la récupération du langage par les instances dominatrices,
on ne doit pas toujours inventer de nouveaux mots pour qu’ils soient
à leur tour immédiatement détournés de leur sens1.

En ce qui concerne le terme « pouvoir », Eduardo Colombo écrivait
dans le n° 7 de Réfractions : « En ce qui nous concerne,“pouvoir”,
comme verbe ou comme substantif, fait
référence à la capacité de faire, « être
capable de », avoir le pouvoir (ou la
capacité) de produire des effets, ce qui
donne, donc, mille possibilités d’agir sur
le monde.

Parmi celles-ci, la possibilité d’exercer
un pouvoir, d’agir sur quelqu’un, ou sur
un peuple tout entier, et d’avoir sur lui
de l’ascendant, de l’autorité, de l’empire,
de la puissance, c’est-à-dire avoir le
pouvoir de lui imposer un comportement
ou une situation non désirés, en un
mot, avoir le pouvoir de dominer.

En politique, le mot « pouvoir » se
charge presque exclusivement de cette
acception, et « pouvoir » et « domination »
deviennent synonymes. Ce qui est déjà
contenu dans les origines étymologiques
communes de domination, potestas,
pouvoir, puissance.

Mais, en politique, une distinction
foncière sépare, doit séparer, « pouvoircapacité
 » et « pouvoir-domination ».
Dans une situation qui implique deux ou
plusieurs individus, la capacité de faire
peut devenir une force commune,
synergique, d’individus ou de groupes en
relation de coopération, dans des conditions
qui n’entament pas les rapports
égalitaires des participants, ni leur liberté
de décision ; la domination, par contre,
désigne une relation nécessairement
asymétrique : l’un (ou une partie)
domine, l’autre (ou l’autre partie) se
soumet. »

Il est essentiel, devant l’inflation des
règlements et des interdictions, de
reprendre le pouvoir sur nos vies, au sens
de la capacité de les organiser selon nos
propres désirs et nos propres raisons.
Avoir conscience de posséder un pouvoir
est une condition indispensable pour
agir ; c’est exactement le contraire de
l’impuissance qui nous mine devant la
plupart des événements actuels.

Pourquoi ce pouvoir est-il nécessairement
politique ? La tendance actuelle,
dans les mouvements progressistes, est
d’opposer le social, lieu de résistances et
de revendications collectives, au politique,
lieu de confiscation des décisions
par l’oligarchie. Or, la dimension sociale
ne suffit pas pour conquérir l’autonomie
par rapport aux pouvoirs institués ; elle
doit se doter d’une dimension politique.
En effet, le social est le lieu des
différences non réfléchies, qu’elles soient
naturelles (différences de genre, d’âge, de
dons et capacités,…) ou qu’elles se soient
installées de manière non concertée au
cours de l’histoire de la société (différences
de statuts et de rôles dans cette
société). Le politique est le lieu de la
réflexion de la société sur elle-même.
Une communauté devient politique
quand elle s’auto-institue, quand elle
établit de manière volontaire et délibérée
ses principes fondateurs. La distinction
entre social et politique, présentée ici
dans les termes de Castoriadis, apparaît
déjà chez Aristote, pour qui l’homme est
certes un animal social en tant qu’il a
intérêt à se regrouper pour mieux
survivre, mais est le seul animal politique en tant qu’il est le seul à pouvoir
exprimer des valeurs telles que le juste et
l’injuste, valeurs sur lesquelles doivent
être fondés les principes organisateurs de
la cité. Ceux-ci concernent essentiellement
la répartition des richesses et
des rôles, les règles minimales à respecter
pour que la vie collective soit possible, les
choix concernant les besoins et les
manières de les satisfaire. À la première
étape fondatrice, qu’on appelle traditionnellement
« constituante », s’ajouteront
au fur et à mesure les décisions à prendre
en fonction des situations sans cesse
nouvelles. Et même dans une organisation
anarchiste on retrouvera les trois
pouvoirs définissant toute sphère politique,
car il y aura toujours des règles
(plus ou moins durables) à établir, des
décisions à exécuter et des conflits ou des
dangers à juger. En tant qu’il participe à
la vie politique ainsi définie, chaque
membre de la communauté est
« citoyen » (politès) et, en tant que tel, égal
à tous les autres. Cela signifie que, quelles
que soient ses déterminations sociales
telles que famille, profession, possessions,
culture, chacun a une voix égale,
du fait que, simplement en tant qu’être
humain, il a part à la rationalité qui
permet de comprendre, d’argumenter et
de se fixer des objectifs généraux. Non
qu’il devienne un être abstrait dépouillé
de tout ce qui le constitue en propre, mais
l’important est qu’il soit capable de
dépasser ce qui lui est propre pour
pouvoir se placer à un niveau collectif.

Comme le rappelle Irène Pereira3,
Proudhon définissait ainsi la méthode du
consensus démocratique, qui consistait
« à chercher l’idée supérieure, synthèse
ou formule, dans laquelle les deux
propositions contraires se balancent, et
trouvent leur satisfaction, puis à faire
voter sur cette synthèse, qui, exprimant
le rapport des opinions contraires, sera
naturellement plus près de la vérité ».

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