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John Clark
Lettre de la Nouvelle-Orléans
(Réflexions reclusiennes sur un désastre non naturel, 11 octobre 2005)
Article mis en ligne le 24 juin 2008

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John Clark, n’ayant pu participer à la conférence consacrée à Élisée Reclus qui se tenait à
Milan les 12 et 13 octobre 2005, du fait des dégâts causés par l’ouragan Katrina à la
Nouvelle-Orléans, envoya le texte suivant aux participants.

Chers amis, pour compenser mon absence, j’ai décidé de vous
adresser ma contribution sous la forme de quelques réflexions
que je me suis faites récemment sur ce qui s’est passé ici, à La
Nouvelle-Orléans.

J’étais à Dharamsala, en Inde, à la fin du mois d’août, lorsque j’ai
entendu qu’un ouragan d’importance majeure se rapprochait de la
Nouvelle-Orléans. Je m’y trouvais avec l’Association Himalayenne de
Louisiane (groupe auquel j’appartiens et qui travaille avec les réfugiés
tibétains), enseignant l’anglais et faisant des projets pour des programmes
futurs à l’intention de mes étudiants de la Nouvelle-Orléans.

L’ironie du sort a voulu que je découvre qu’il me fallait quitter la communauté de
réfugiés tibétains pour retourner à ce qui était devenu en soi une cité de réfugiés.
Quand je suis arrivé chez moi, j’ai trouvé une ville aux rues désertes, des arbres
abattus, éparpillés partout, des voitures abandonnées, des maisons ravagées par
l’inondation, et un silence macabre. Depuis, j’ai participé au nettoyage de mon
quartier avec plusieurs organisations de base dans la cité. Au cours du mois écoulé,
la ville a lentement commencé à réapparaître, comme cela fut symbolisé le dimanche
par un cortège funéraire escorté par une fanfare de jazz à travers la ville – ceci pour
la première fois depuis l’ouragan.

Les réflexions qui suivent sont quelque peu dans l’inspiration d’un New Orleans
Function – pleurant sur notre tragédie collective mais proclamant aussi notre commun
espoir. Je crois que ce défilé correspond fortement à l’esprit de Reclus, qui sera
fréquemment cité ici. De fait, si Reclus, en dépit de toute sa prescience sociale et
écologique, n’a pas prédit avec un siècle d’avance le désastre causé par l’ouragan
Katrina, je pense que vous conviendrez que beaucoup de ses analyses ont un caractère
prophétique, tant en relation avec cet événement particulier qu’à propos de l’état du
monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Reclus prophète

Écrivant au milieu du XIXe siècle durant son séjour de deux ans en Louisiane, Reclus
commenta ainsi les conditions écologiquement précaires de la ville de Nouvelle-
Orléans : « Il suffit de creuser de quelques centimètres, ou, pendant les saisons de
grandes sécheresses, d’un ou deux mètres, pour rencontrer l’eau vaseuse ; aussi la
moindre pluie suffit-elle à inonder les rues, et quand une trombe d’eau s’abat sur la
ville, toutes les avenues et les places sont changées en rivières et en lagunes. Des
machines à vapeur fonctionnent presque sans relâche pour débarrasser la Nouvelle-
Orléans de ses eaux stagnantes et les déverser, au moyen d’un canal, dans le lac
Pontchartrain, à quatre miles au nord du fleuve. » Il note : « Les quartiers éloignés du
Mississippi sont élevés de quelques centimètres seulement au-dessus du niveau de
la mer, et les demeures des hommes n’y sont séparées des vasières à crocodiles que
par des égouts d’eau stagnante et toujours irisée. »

Depuis l’époque de Reclus, la ville s’est étalée très au-delà des levées naturelles du
Mississippi et des terre-pleins ou terrains plus élevés sur lesquels elle fut d’abord
édifiée. Une grande partie se situe maintenant bien au-dessous du niveau de la mer
– parfois à trois mètres en dessous ou davantage. À mesure que la ville s’est agrandie,
elle s’est étendue vers des aires de plus en plus inondables, et le travail de pompage
de l’eau est devenu toujours plus difficile – voire impossible, comme on le sait
maintenant ! De plus, la destruction des forêts côtières de cyprès et l’érosion massive
de la côte (qui atteint par an 40 ou 50 miles carrés, soit environ 100 à 130 km2) ont eu
pour résultat non seulement la disparition d’une nature fort belle mais aussi
l’élimination des barrières protectrices naturelles de la cité contre la force destructrice
des ouragans.

Reclus remarque que les despotes de l’histoire ont « placé des villes en des endroits
où elles ne seraient point nées spontanément, » de sorte que « fondées en des lieux
contre nature, elles n’ont pu se développer qu’au prix d’une énorme déperdition de
forces vives ».

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