Mars 2014, quelques semaines avant le premier tour des élections municipales. Une camionnette passe avec hautparleur et inonde le quartier de tracts. Il faut préciser que j’habite une banlieue « rouge », dirigée depuis la Libération, et même avant, par le Parti communiste, tout puissant, même si cette année, il se présente comme Front de gauche, avec quelques membres du Parti de gauche, des écolos et des « représentants de la société civile ». Le PS fait bande à part ; je ne sais plus lequel des deux n’a pas voulu faire alliance et, d’ailleurs, c’est flou. Une particularité : il n’y a pas de liste du FN, mais une liste intitulée « Vénissieux faire front », composée d’exclus du FN pour cause de salut nazi ostensible, membres de l’Œuvre française et des Jeunesses nationalistes.
Ce n’est pas d’eux que vient le tract, mais d’une liste « divers ». En tout cas, ils ont des sous pour inonder ainsi tout le monde. Dans la cour, des gamins ramassent le tract et le lisent. « À gauche pour le travail, à droite pour les mœurs » ; « Moi, je suis d’accord », affirme un gamin, 13 ans environ. Tiens, c’est donc ça. Quelques mois plus tôt, j’avais croisé dans le centre ville une manifestation contre l’interdiction du voile dans les lieux publics. Devant, une camionnette sur laquelle un homme perché lançait des slogans : « Musulmans, chrétiens unis ». Et, derrière, des femmes voilées qui répétaient machinalement. Un peu plus tard, lors d’une manifestation de soutien à Gaza, j’entends quelqu’un qui fait l’éloge de Soral « qui dit ce que personne ne dit et qui n’est jamais à la télé » (moi non plus…). Et un jeune Rebeu, à qui on fait remarquer la présence de Juifs dans la manif, s’étonne naïvement « Mais alors, ce sont des traîtres ? » Lorsqu’on essaie de discuter avec lui : « Je ne sais plus quoi penser. » Ce qui prouve qu’au moins, à ce moment, il était encore capable de penser et n’était pas définitivement entré dans les certitudes du bien et du mal.