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Histoires de loups, de cochons et d’autres vivants, parmi lesquels des humains
Alain Thévenet
Article mis en ligne le 28 septembre 2014
dernière modification le 20 mars 2016

par ps
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IL FAISAIT BEAU. DE MON BALCON, JE REGARDAI VAGUEMENT LES gamins jouer dans la cour. Un « grand » (dix ans environ) était sans doute en charge d’un petit frère ou petit voisin de trois ans à peu près. Et voilà que le grand se retourne pour voir si le petit le suit toujours et le découvre en train de grattouiller quelque chose, sans doute quelque danger ou quelque interdiction. « Ne va pas là ! s’écrie-t-il, il y a le cochon ! » Tiens ! On aurait plutôt dit « le loup ». De toute façon, le petit n’a pas paru particulièrement impressionné.

Mais voilà qui s’associe au malheureux petit Blanc privé de son pain au chocolat pendant le Ramadan (surcroît de méchanceté, alors que le Ramadan est tombé pendant plusieurs années consécutives pendant les vacances scolaires !). Donc, il va falloir tout changer, ça repart à l’envers : Le grand méchant cochon et les trois petits loups. Problème : il n’y a pas de loup au Maghreb, du moins je ne crois pas, ou alors vraiment pas beaucoup. Le cochon peut bien remplacer le loup, à condition de se
souvenir des sangliers qu’on a pu parfois croiser dans nos forêts, dont l’aspect n’était pas particulièrement avenant. Mais le petit loup à la place des petits cochons, ça ne va pas ! Quoique, pourquoi pas… Le plus proche, dans le rôle de la victime « trop gentille », ne serait-ce pas l’agneau ? Le loup et l’agneau, le méchant et le gentil
naïf, nous y voilà. Si nous, dans nos campagnes empreintes de culture, on tue rituellement le cochon, « là-bas », ils sacrifient le mouton. Il en faut toujours un qu’on sacrifie. D’ailleurs, il y a bien une histoireavec Abraham, tout prêt à sacrifier son fils pour obéir au « bon » Dieu, et le brave mouton qui s’est présenté à la place. Le mouton ! Voilà sur qui on peut être d’accord. C’est toujours lui qui trinque ; normal, il n’est pas méchant, mais un peu niais. C’est pour ça que le Jésus, « agneau de Dieu », a pris sans doute sa place.

Ça me rappelle la « Sainte Trinité ». Vous savez : Dieu le père, toujours aussi rancunier et pas très futé, celui d’Abraham ; le Saint Esprit, l’intello qui plane et ne se rappelle même plus qu’il a engendré ; et le Jésus qui croit tout ce qu’on lui dit et, pouf, finit crucifié, pour arranger tout le monde. Donc, dans toutes ces histoires, c’est le mouton qui trinque toujours, depuis l’histoire d’Abraham. Bien fait ! Il est trop gentil ou
trop niais, ça dépend comment on voit les choses, mais il faut toujours un sacrifié. S’il veut une place, ne serait-ce que celle du réprouvé, il lui faut faire comme les Rroms et envoyer les agneaux mendier dans le métro(tout en leur apprenant cependant à éviter
les services sociaux, identifiés ici à la SPA). D’ailleurs, c’est déjà ce qui se passe, et aussi avec les petits rebeus (pas toujours, mais souvent, ou en tout cas parfois). Petits, on les regarde déjà comme bizarres, on sait pas, mais il y a quelque chose, et c’est pas étonnant, vu d’où ils sortent… « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère, ou bien
quelqu’un des tiens » !

Difficile quand on est né musulman de se déclarer athée. Mais le Coran, comme les Évangiles, est susceptible de multiples interprétations ; et certains courants, tels le soufisme ou l’alévisme, sont proches d’une forme de panthéisme. Chez « nous », il y a eu aussi des tas d’interprétations et, de mon point de vue, l’anarchisme luimême s’est construit contre le christianisme. Mais pour se dresser contre, il faut nécessairement être issu de. Ce qui, entre parenthèses, ne permet pas d’imaginer que l’anarchisme puisse être « exporté » dans d’autres cultures, mais n’empêche pas de trouver au sein de celles-ci des aspirations, des pensées, des comportements qui aient
avec lui de profondes similitudes. Mais dans tout cela il n’y a pas de quoi fouetter un chat, et je suis satisfait de pouvoir ainsi introduire le chat anarchiste pour perturber le groupe des animaux aux destins bibliques, loup, cochon et mouton. Toutes ces histoires ne jouent que par la bande dans les relations que nous pouvons avoir, ou non, avec les Arabes qu’il nous arrive de rencontrer dans nos rues ou dans les leurs. Les uns et les autres, et chacun d’entre nous, avons un héritage fait de multiples éléments. Au-delà, c’est à travers les émotions, la manière de les exprimer par le regard, le corps et les mots que nous pouvons apprendre les uns des autres. Chacun
connaît des Arabes non croyants qui respectent le Ramadan et d’autres qui se
disent croyants et n’en font rien.

Cette histoire de « conflit de cultures » est le type même du faux conflit, créé de toutes pièces par ceux qui prétendent posséder la vérité ou la « civilisation » et invitent à exterminer l’autre et même à lui dénier l’humanité qu’il a en commun avec nous. Le but, ou le résultat, est d’éviter que ceux à qui s’adresse ce discours puissent reconnaître entre eux les similitudes fondamentales liées à ce destin commun ; que celui-ci n’exclue pas, au contraire, les divergences, dont peuvent naître des conflits dont on peut discuter et s’enrichir mutuellement.
Si, il y a quelque chose comme un conflit dans nos banlieues, par exemple. Il y a en tout cas un conflit possible entre les pauvres qui y sont confinés, dans ces banlieues « qui craignent », et les riches qui les y ont enfermés.


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