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L’anarchisme et ses conflits
Jean-Christophe Angaut
Article mis en ligne le 14 juillet 2013
dernière modification le 20 mars 2016

par ps
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PAR CETTE CONTRIBUTION,JE SOUHAITE APPORTER UN ÉCLAIRAGE,DE l’ordre de l’histoire des idées et des pratiques, sur les liens à mon avis intimes qui unissent l’anarchisme et la notion de conflit. Ces liens se déploient selon moi dans cinq directions. En premier lieu, l’anarchisme se caractérise, originellement et continuellement, par un rapport conflictuel, voire polémique, avec le réel social et politique. En second lieu, dans certaines de ses expressions théoriques, et notamment chez Proudhon, l’anarchisme se fonde sur la reconnaissance du caractère intrinsèquement conflictuel du réel, voire sur le caractère indépassable du conflit. En troisième lieu, en tant qu’il est orienté vers des pratiques radicales de lutte contre la domination, l’anarchisme se caractérise aussi comme une certaine attitude théorique et pratique vis-à-vis des conflits existants, que l’on peut caractériser par les deux termes de radicalisation et de subversion. En quatrième lieu, à nouveau dans ses théories et ses pratiques, si on le compare au libéralisme, l’anarchisme a défini historiquement une manière particulière de se rapporter aux différends qui peuvent surgir dans toute société, et cela notoirement par son refus de confier à l’État la charge de mettre en accord les libertés individuelles au moyen de la contrainte
juridique. En cinquième lieu, en tant que mouvement lui-même soumis à des conflits internes, l’anarchisme a pu tenter de mettre en place des modes originaux de résolution des conflits, depuis la pratique des jurys d’honneur à l’époque du mouvement ouvrier jusqu’aux procédures relatives au consensus formel aujourd’hui.

L’ANARCHISME EN CONFLIT

« Anarchiste » : le terme même est né dans un contexte polémique et conflictuel qui a grandement contribué à fixer le sens qu’on lui accorde aujourd’hui et les connotations qui l’entourent. Comme d’autres désignations philosophiques ou politiques (on peut songer également au terme « matérialiste », antérieur au substantif « matérialisme « , comme il y eut des anarchistes avant l’anarchisme), le mot a acquis sa signification contemporaine selon une logique qui est celle du retournement du stigmate. On fut d’abord accusé d’être anarchiste avant de se revendiquer comme tel et, comme on sait, ce fut Proudhon qui, le premier, fit d’une injure politique une caractérisation positive . Et, aujourd’hui, ce qualificatif est encore suffisamment chargé pour que les autorités policières, notamment en France, en fassent un usage infamant.

Mais par-delà cette origine polémique, la notion même d’anarchie, lorsqu’on s’en revendique, véhicule indéniablement une dimension de remise en cause radicale du réel. En dramatisant les choses, on pourrait dire que les anarchistes, en tant que tels, sont en guerre permanente contre un ordres ocial et politique fondé sur des relations d’autorité – mais ce serait d’emblée réduire le conflit à la guerre, ce qui, on va le voir, ne va pas nécessairement de soi. Par sa dimension négative, en tant qu’il est un mouvement de contestation fondamentale de ce qui structure notre réalité sociale et politique, l’anarchisme est nécessairement en conflit : avec l’État, avec le capitalisme, avec les courants autoritaires du socialisme, avec le patriarcat, avec Dieu même… C’est sans doute ce qui confère leur particularité aux expressions théoriques de l’anarchisme par rapport à celle de tout autre courant idéologique : elles revêtent toutes un caractère éminemment polémique et sont articulées à une lutte pratique. D’où le caractère déconcertant des écrits anarchistes pour ceux qui les abordent à partir des catégories habituelles de la philosophie ou des sciences politiques. Aucun anarchiste n’a exposé quelque chose comme la doctrine anarchiste, sub specie æternitatis, pour cette bonne et simple raison qu’une telle doctrine n’existe pas. Il n’est qu’à se reporter à quelques-uns des auteurs que l’on considère comme représentatifs de la tradition anarchiste, et tout particulièrement à Bakounine qui, tout en étant l’un de ceux qui ont le plus écrit, n’a jamais entrepris d’exposition générale de ses idées qu’à partir d’une lutte concrète (dans la Ligue de la paix pour Fédéralisme, socialisme et antithéologisme,au moment de la guerre franco-allemande pour L’empire knouto-germanique et la révolution sociale, contre Mazzini dans La théologie politique de Mazzini,ou encore contre Marx dans Étatisme et anarchie), et n’est jamais parvenu à achever cette exposition, non seulement parce que d’autres luttes sont perpétuellement venues accaparer son activité, mais peut-être aussi, plus fondamentalement, parce que tel n’était pas son projet de fond. Mais l’un des aspects les plus intéressants des théories anarchistes, c’est qu’elles ont parfois tenté de présenter, sous une forme cohérente, les raisons de ce rapport conflictuel au réel. On en trouve deux exemples caractéristiques dans les manières dont, respectivement, Proudhon et Bakounine se rapportent à certaines notions qui connotent le conflit, l’antagonisme, l’opposition, la contradiction, l’antinomie.

VITALITÉ DU CONFLIT : UNE DIALECTIQUE ANARCHISTE ?

Proudhon est sans doute, parmi les penseurs que l’on rattache à la tradition anarchiste, celui qui a le plus mis en valeur de telles notions, au point de tenter de proposer, dès De la création de l’ordre dans l’humanité en 1843, une esquisse de dialectique originale .C’est l’une des affirmations les plus constantes de Proudhon que le réel est intrinsèquement conflictuel. Dans plusieurs textes, le penseur bisontin estime que cette conflictualité ne vaut pas seulement pour les formations sociales, mais pour la réalité tout entière, ce qui lui permet par exemple de procéder à des analogies entre le monde social et politique et ce qui intervient dans la nature : dans De la création de l’ordre,il estime ainsi que l’antinomie constitue « la raison tout à la fois du mouvement et de l’éternité, le principe générateur « , et dans De la Justice,il affirme encore : « Je vois partout des forces en lutte" .

P.S. :

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