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Pouvoir et liberté : une tension inhérente au champ politique
Tomás Ibáñez
Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 1er mai 2013

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Il suffit de considérer, par exemple, les thèses libérales sur la
liberté pour se rendre compte que la manière dont est conçue la
liberté est lourde d’effets politiques et de conséquences de divers
types1. Cela n’est pas surprenant car l’idée qu’une société se fait de la
liberté contribue à orienter les comportements de ses membres, à
modeler les subjectivités, et à dessiner ne serait-ce que partiellement les
rapports de domination qui la parcourent. De même, il suffit de
contempler les caractéristiques des sociétés contemporaines pour
s’apercevoir qu’il y a une manière de construire le concept de liberté et
de le faire fonctionner dans les pratiques et dans l’imaginaire social
qui, paradoxalement, transforme la liberté en un instrument
d’asservissement.

En effet, jamais comme à notre époque la liberté n’aura été autant
sollicitée par les dispositifs de domination et n’aura figuré aussi
profusément dans le discours des instances dominantes. C’est un peu
comme si la liberté constituait une référence indispensable pour le bon
fonctionnement de l’actuelle économie de marché capitaliste, et pour
la gestion moderne du domaine politique. C’est ainsi, par exemple, que
le consommateur est construit comme un sujet libre, constamment
sommé d’agir librement, et c’est à sa liberté de choix qu’il est fait appel
sans relâche pour stimuler en lui une compulsion acquisitive. C’est
ainsi, également, que dans des segments de plus en plus nombreux du tissu productif et du secteur des services,
il est fait appel à la liberté du travailleur
pour qu’augmente sa rentabilité, et c’est
sa liberté qui est mise directement à
contribution pour accroître la compétitivité.

Enfin, il est inutile de rappeler ici
qu’en ce qui concerne la sphère politique
c’est précisément dans la référence à la
libre expression de la volonté des
citoyens que les démocraties parlementaires
placent leur source ultime de
légitimité. Mettre à jour les multiples
procédés auxquels recourent les
dispositifs de pouvoir pour nous
construire comme des sujets libres et
analyser les diverses utilités qu’ils en
tirent, se présente, sans doute, comme
une tache de longue haleine mais qui
pourrait se révéler bien utile pour contrer
la domination.

L’un des procédés pour faire de la
liberté un instrument d’asservissement
consiste à la concevoir comme « un bien »
dont les sujets peuvent disposer en
quantité plus ou moins grande, ou bien
comme une « condition » dans laquelle ils
peuvent se trouver, ou encore comme un
type « d’espace » auquel ils peuvent
accéder. Considérer la liberté comme un
bien dont on peut disposer en quantité
variable n’est pas tout à fait faux, certes,
mais cela peut être utilisé pour imprimer
à la liberté la forme de la marchandise et
pour la faire rentrer de plain-pied dans le
domaine de la consommation. Il n’y a
qu’à voir, en effet, comment les
campagnes de publicité nous incitent à
faire un tour par les marchés pour y
acquérir de la liberté, tout en nous
cachant, bien sûr, que le prix à payer
hypothèque lourdement notre liberté.
Les chants de sirènes nous disent que
l’achat de telle marque de voiture nous
rend libres, ou accroît indéfiniment notre
liberté, et que plus la voiture est chère
plus nous capitalisons de la liberté, mais
ils gardent le silence sur le fait qu’il nous faudra peut-être laisser la voiture au
garage car nous devrons travailler encore
plus d’heures pour la payer.

C’est également sur de l’asservissement
que peut déboucher la liberté
quand on la considère comme une
condition dont nous bénéficions
éventuellement, où comme un espace
auquel nous pouvons accéder. En effet, il
est bien souvent entendu que jouir de
liberté revient à se trouver dans un état
d’où la contrainte est bannie, et
qu’accéder à un espace de liberté c’est se
mouvoir dans un espace exempt de
domination. En réalité ces conceptions
de type libéral facilitent l’exercice du
pouvoir en masquant sa présence dans
toutes les situations qu’elles couvrent du
manteau de la liberté. Nous y reviendrons,
mais signalons déjà qu’un espace
de liberté ne peut être perçu comme
étant dépourvu de domination que si
nous postulons la neutralité des
pratiques qui l’ont instauré et qui
s’estompent dès qu’il est institué, ne
laissant voir que le produit mais jamais
le processus qui l’a engendré. De même,
lorsque le libéralisme conçoit la liberté
comme étant la possibilité de pouvoir
faire ce que l’on veut il fait l’impasse sur
ce qui nous amène précisément à vouloir
ce que nous voulons et sur les procédés
de subjectivation, c’est-à-dire sur le jeu
de pratiques et d’institutions qui nous
constituent comme sujets.

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