À
propos du Colloque de Bristol (juin 2010)
Les siècles de la colonisation
ont précarisé l’Afrique et d’autr
es
continents ; la mondialisation, à son tour, est venue fragiliser les sociétés
occidentales.
Celles-ci,
et notamment leurs classes moyennes,
maîtrisent de moins en moins leur destin collectif. La période précédente a
suscité la prolétarisation de la paysannerie ; c’est maintenant leur tour. La vie
quotidienne est toujours plus conditionnée par la situation internationale
:
les
prix de l’essence ou de la farine se décident sur la scène mondiale.
Les préoccupations et engagements de chaque individu, y compris du
militant,
risquent de détourner son attention et de br
ouiller ses priorités.
« Penser localement » sans raisonner globalement, c’est faire preuve de naïveté.
Même les microclimats subissent les humeurs de la Terre.
Il ne peut davantage se fier à la mise en scène médiatique. La mondialisation est le paravent des Grands et le spectre de leurs sujets. Le théâtre des
opérations planétaires lui est présenté en un clin d’œil,
comme par un tour de
magie,
et on lui propose d’adopter les travestissements des stars politiques de
l’actualité, de devenir le satellite du dernier agitateur à la mode. Il lui faut aller
plus loin et repérer l’attirail dont se servent les saltimbanques pour tirer les
ficelles des Guignols qui le dirigent.
Frustré par les discours canoniques, les politesses de salon et les gesticulations,
il doit aussi éviter le naufrage dans les théories du complot. Les
choses sont pourtant simples : les doctrines stratégiques de la pensée
dominante reposent sur des croyances à faire pâlir de jalousie les fonda-
mentalistes de tous bords.
Or le travail « sérieux » n’est abordé qu’après coup. Journalistes et
politologues révèlent alors les activités clandestines des puissants et la détresse
des opprimés. En revanche, leurs prédictions sur les temps à venir ne sont pas
sans évoquer Nostradamus.
La lecture lui permet de prendre des distances, mais l’histoire, les
chroniques ponctuelles et les études spécifiques lui parlent surtout du passé.
Elles ne remplacent pas un furieux besoin d’idées adaptées aux circonstances
du moment, mais bien distinguées sur le grand échiquier du monde. Il faut des
phares, des balises et des bouées sur toute la planète. Il faudrait devenir un
penseur
free-lance
.
Les amoureux de liberté, les champions de l’autonomie, les observateurs
anarchistes de la scène mondiale n’ont guère forgé les outils pour cette
compréhension panoramique de notre époque. Le sujet avait pourtant mobilisé
les tout premiers penseurs libertaires ; pour notre bonheur, après une phase de
pénombre commencée vers 1980, il vient de susciter des travaux de jeunes
universitaires anglophones.
En juin 2010 s’est tenu à l’université de Bristol, en Angleterre, un colloque
qui devrait faire date. Il a été organisé par Alex Prichard sur le thème des
relations internationales avec le soutien du jeune réseau
Anarchist Studies
Network
, qui constitue une section très active au sein de l’Association d’études
politiques. L’intérêt du sujet abordé provient de son impact sur la vie quoti-
dienne, de la tardive découverte de la pensée anarchiste par des universités
anglophones, de l’apport des contributions à la pratique militante et, fait
nouveau,
du regard
décapant porté sur quelques concepts fondateurs de cette
discipline et des actions internationales menées hors du cadre
des États.
Cet article ne prétend pas résumer fidèlement les textes présentés : c’est
une lecture
personnelle.
Dans le cadre
limité de cet écrit et des compétences
de son auteur, on a écarté l’examen de narrations qui pourtant mettent en
évidence des formes remarquables d’action internationale de type libertaire ;
celles-ci impliquer
aient des analyses spécifiques.
Les divers rapports recevront
donc un traitement inégal : il ne s’agit pas d’un jugement de valeur mais d’un
choix au profit des questions les plus générales de la réflexion politique
internationale.
Il faut aussi ajouter,
pour être complet, que la rencontre de
Bristol a été accompagnée d’une exposition sur le féminisme international et
la solidarité mondiale dans les années 1980
.
On commencera
par rappeler brièvement quelques positions anarchistes du
passé et leur percée récente dans le monde universitaire. La seconde partie
présentera
les thèmes des diverses communications de la rencontre
de Bristol.
On abordera en troisième lieu le tournant majeur que les diverses
contributions proposent à l’étude des relations internationales. La conclusion
rappellera les points principaux d’une lecture qui, espérons-le, lancera de
nouveaux débats. Sans doute, les inquiétudes du temps présent n’y
encouragent guère. Mais le pessimisme ne remplace pas la réflexion : il doit
plutôt la susciter