Ce texte a été présenté le 30 décembre 2009 à San Cristobal de las Casas, Chiapas,
lors d’un colloque organisé au Cideci-Unitierra (Centre Indigène de Formation
Intégrale – Université de la Terre) à l’occasion de la publication du livre
Planeta
Tierra : movimientos antisistémicos
.
Ce livre était lui-même le résultat d’un
premier colloque tenu deux ans plus tôt, en décembre 2007, à la mémoire de
l’anthropologue et historien André Aubry,
qui consacra
sa vie à l’étude de la réalité
chiapanèque et à l’accompagnement des communautés indigènes, au point que les
zapatistes le proclamèrent Doctor liberationis conatus causa. Jérôme Baschet vit la
moitié de l’année à San Cristobal et l’autre
moitié à Paris,
où il enseigne à l’EHESS.
A
fin d’inscrire mon propos
dans la suite des réflexions engagées
lors du Premier Colloque international en l’honneur d’André
Aubry « Planète Terre : mouvements antisystémiques », puis lors
du
Festival mondial de la digne rage
, ici même [à San Cristobal], en janvier
2009, je commencerai par rappeler brièvement et partiellement
quelques-unes des questions qui ont alors dominé la discussion
:
— Comment caractériser les réorganisations (ou désorganisations) les
plus récentes du capitalisme ?
Les asymétries classiques entre centre et
périphérie sont-elles toujours prépondérantes ? Entrons-nous dans un
monde lisse,
en voie d’homogénéisation ? Ou bien assistons-nous à un
processus de reterritorialisation, à une nouvelle guerre de conquête pour
les ressources naturelles, dans laquelle le nord et le sud sociaux (c’est-à-dire
le haut et le bas) prédominent sur le Nord
et le Sud géopolitiques ?
— L’heure est-elle aux étapes finales – du néolibéralisme, de la
superpuissance états-unienne ou du capitalisme ? La crise actuelle est-elle
la crise ultime du capitalisme ou un simple désajustement cyclique ? Une
expression de plus du néolibéralisme comme crise permanente ? Un
exemple supplémentaire de la stratégie du choc, propre au capitalisme du 48
désastre ?
Ou bien est-ce le début d’un
processus durant lequel le capitalisme
pourrait parvenir à prolonger son expan-
sion malgré les contradictions et limites
qu’il lui devient de plus en plus difficile de
dépasser ? Ici la discussion implique, parmi
d’autres difficultés, une question de
rythme : nous ne devons aller ni trop vite
(en besogne) ni trop lentement, et éviter
tant d’exagérer les transformations en
cours que de minimiser ce qui se laisse
entrevoir de nouveau.
— Parler de phase terminale du
capitalisme implique-t-il son effondrement
inéluctable ou bien, comme y insiste la
quatrième des sept thèses sur les mouve-
ments antisystémiques, « le capitalisme n’a
pas pour destin inévitable son auto-destruction,
à moins qu’elle n’inclue le
monde entier », parce que « l’idée apo-
calyptique que le système s’effondrer
a
de
lui-même est erronée » ?
— Comment concevoir la sortie du
système capitaliste,
une fois abandonné le
modèle de LA révolution, assimilée à la
prise de pouvoir étatique ? Le capitalisme
lui-même génère-t-il des potentiels libérateurs, comme le travail coopératif et la
reproductibilité illimitée et gratuite des
biens immatériels,
qui ouvrent la voie à un utre logique systémique ? Est-il possible
de fuir le capitalisme, de le déserter, de
s’en déconnecter afin de cesser de le
reproduire ? L’autonomie zapatiste, dont
les avancées ont été présentées il y a un an
par la commandante Hortensia et par le
lieutenant-colonel Moisés
, montre qu’il
est possible de commencer à construire un
autre monde dès maintenant, mais
jusqu’où pourront résister ces poches
d’espoir ? Elles ont une énorme valeur
politico-pédagogique, car elles dévoilent
une partie du lendemain et permettent que
germent des subjectivités déjà partielle-
ment émancipées ; mais jusqu’où les
laissera avancer le serpent qui les enserre ?
Quand arrivera le moment de vérité,
l’affrontement entre
l’élan antisystémique
et l’inflexibilité systémique
?
— Finalement, a été esquissée la question de sa
voir ce qui pourrait ad
venir au-
delà du capitalisme : que pourrait être une
« économie post-capitaliste » ? Comment
oser penser et rêver le post-capitalisme
?
C’est dans cette brèche que je souhaite
m’avancer maintenant, avec la pleine
conscience que le terr
ain est au plus haut
point glissant, si ce n’est franchement
épineux