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Editorial
Article mis en ligne le 18 avril 2013

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IL N’Y A PAS DE PLACE ICI POUR DES DEMI-MESURES : EN UN MOT
comme en cent, « l’anarchie » et « l’État » sont deux réalités
radicalement antinomiques et absolument incompatibles.
De Bakounine à Malatesta, pour ne mentionner que des classiques,
l’histoire de la pensée anarchiste foisonne d’analyses qui
scrutent la nature profonde de l’État, et elle est riche en discours
qui argumentent solidement les multiples raisons de son rejet. De
même, les diverses pratiques déployées collectivement par lemouvement
anarchiste, tout comme par les individus qui le composent,
montrent à l’évidence que les anarchistes sont incurablement « réfractaires
à l’État » et comptent parmi ses ennemis les plus irréductibles.

Il ne s’agit donc pas dans ce dossier de revenir sur ce que
nous considérons comme un acquis pour en répéter les formules ou
pour les exprimer autrement, mais plutôt d’essayer de jeter un regard
actuel sur l’État qui soit en même temps un regard sur l’actualité
de l’État. En d’autres termes, il s’agit de nous interroger à la
lueur des connaissances d’aujourd’hui sur les caractéristiques de
l’État, et donc sur lesmodalités du pouvoir politique institué, telles
qu’elles se manifestent à notre époque.

Il est admis que l’État moderne, en tant que forme historiquement
construite d’organisation politique de la société et en tant
qu’instance d’exercice du pouvoir, a pris son essor en Europe il y
a quelque cinq siècles. Compte tenu du rythme des changements
sociaux en Occident, cela représente un laps de temps suffisamment
étendu pour qu’il soit tout à fait raisonnable d’affirmer que
l’État a connu des transformations significatives au cours de cette
période. Ces changements n’ont sans doute pas altéré les caractéristiques
fondamentales de l’État en tant qu’institution qui se
trouve investie du droit exclusif à l’usage légitime de la force, ou
en tant qu’institution imaginaire qui porte inscrite en son sein l’exigence
de soumission. et qui en promeut le caractère volontaire,
Mais ces changements représentent des « métamorphoses » de
l’État qui adopte de nouvelles formes de fonctionnement, qui se
coule dans des structures différentes, et qui produit d’autres effets
de pouvoir.

Aux côtés d’une réflexion indispensable sur la lente genèse du
phénomène étatique, sur les diverses représentations qui se sont
constituées à son sujet, et sur l’autonomie conçue comme son antithèse
radicale, c’est donc « l’état de l’État » aujourd’hui que nous
avons voulu tenter de cerner et de comprendre au moins partiellement.
Cela répond au souci légitime d’atteindre un meilleur entendement
de ce que représente actuellement l’État, mais aussi à
l’attente qu’il puisse en surgir d’éventuelles indications pour orienter
la lutte contre la domination et en faveur de l’autonomie politique.
Ce plan de travail nous a incités à repenser par exemple la
question de la raison d’État et de la souveraineté dans leur rapport
à l’état d’exception, ou à revoir les liens étroits tissés entre l’État et
la guerre ainsi que la diversité des positions prises par les anarchistes
dans les situations d’affrontement armé, ou encore à réfléchir
sur les caractéristiques du nouvel État techno-managérial tel
qu’il est en train de se constituer.

Cela dit, notre époque étant ce qu’elle est, l’analyse du néolibéralisme
dans ses diverses acceptions et l’examen des modifications
qu’il imprime à l’État étaient bien entendu incontournables
pour construire un regard sur l’État contemporain qui aille notablement
plus loin que le débat au sujet du désengagement ou non
de celui-ci, et qui prenne en compte avec la rigueur nécessaire les
particularités de l’économie capitaliste au vingt-et-unième siècle.
En fait, en plus de faire l’objet de deux traitements spécifiques, la
référence au néolibéralisme court à travers la plupart des textes de
ce dossier.

Mais pour que ce regard sur le présent soit lui-même actuel, il
nous fallait aussi puiser dans quelques-uns des matériaux que la
pensée contemporainemet à notre disposition. Parmi bien d’autres
penseurs, ce sont par exemple Bourdieu et Foucault qui sontmis ici
à contribution de manière critique dans plusieurs textes, tout en
sachant que l’on peut recevoir les formulations de ces deux auteurs
soit comme des analyses non dénuées de portée subversive, qui
nous permettent demieux cerner la nature de l’État contemporain,
soit – surtout en ce qui concerne le second – comme des manifestations
plus ou moins proches de l’idéologie qui sous-tend les
formes actuelles du pouvoir politique. C’est ainsi que sont prises en
compte aussi bien la notion, fortement polémique, de « gouvernementalité
 » que celles plus pacifiées de « pensée d’État » et de « capital
symbolique ».

Si notre angle d’attaque est primordialement théorique et
penche sans doute vers un degré d’abstraction assez élevé, place
est faite également dans ce dossier à des analyses plus concrètes
qui cherchent à cerner ce que révèlent de l’État, et ce que permettent
d’anticiper quant aux formes futures de l’État, certaines pratiques
gouvernementales qui s’expérimentent actuellement – au
sens fort du verbe – sur des populationsmigrantes situées dans les
marges de nos sociétés.

Un espace est donné aussi à l’utilisation de l’État comme promoteur
de modifications et comme appareil de contrôle de ce
processus entre les mains de nouvelles classes ascendantes caractérisant
une période particulière des actions de guérilla et des
coupsmilitaires enAmérique Latine. Un lieu est également dévolu
à interroger la conception de l’État qui ressort des écrits d’un penseur
classique comme Jean-Jacques Rousseau. Enfin, en clin d’oeil,
nous rappelons dans la section « Anarchive » que cette réflexion
ne date pas d’hier pour plusieurs des rédacteurs et rédactrices de
la revue.

Nous ne nous y trompons pas, l’État demeure bien puissant et
l’anarchisme reste encore bien fluet, mais l’image mythique de
David terrassant Goliath est là pour faire virevolter dans notre imaginaire
l’idée que l’improbable est cependant tout à fait possible.

La commission




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