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N°6 Présentation
Article mis en ligne le 6 août 2005
dernière modification le 5 décembre 2005

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Nous assistons à une juridicisation croissante de la société qui touche aussi bien le domaine strictement politique que tous les aspects de la vie privée, les normes et les rapports sociaux. Un nouveau droit international s’affirme, battant en brèche les prérogatives traditionnellement souveraines de l’État national.

De quel droit ?

Nous assistons à une juridicisation croissante de la société qui touche aussi bien le domaine strictement politique que tous les aspects de la vie privée, les normes et les rapports sociaux. Un nouveau droit international s’affirme, battant en brèche les prérogatives traditionnellement souveraines de l’État national.

La complexité de la société moderne est en train de créer un droit positif, lui-même de plus en plus complexe et contradictoire, réservé aux professionnels et aux experts et mis au service de ceux qui les emploient.

Mais derrière le concept du droit, deux idées, dites « classique » ou « moderne », se profilent : l’une considère le droit comme une valeur de
justice et d’équité, de régulation « juste » entre des parties en conflit, même s’il peut être détourné et mis au service d’une société hiérarchique ; l’autre y voit une technique de régulation sociale, qui ne peut que légitimer la domination de la classe ou de l’élite, et le pouvoir de contrainte de l’État.

Dans un texte introductif, « l’anarchisme : entre critique du droit et
aspiration à la justice », Enrico Ferri rappelle que si les anarchistes se méfient du droit, c’est parce que tel qu’il fonctionne dans nos sociétés démocratico-étatiques, il n’est de fait qu’un instrument de légitimation et de perpétuation de l’injustice.

Ils portent en revanche un jugement positif sur le droit et la justice lorsque les lois, ou les règles, que se donne un groupe humain, élaborées et proposées par décision collective et librement acceptées, sont basées sur les principes effectifs et conjugués de la liberté, de l’égalité et de la solidarité.

Examinant pour sa part les relations entre « droit, nature et organisation politique » dans la philosophie politique d’Aristote, Annick Stevens explique que, pour le philosophe grec, le droit repose sur la définition de la finalité de la vie humaine comme l’accomplissement le plus parfait des facultés intellectuelles et politiques, de sorte que le meilleur régime politique est celui qui donne un accès réel à cet accomplissement au plus grand nombre d’hommes possible. Or les fins ultimes de ce régime et les moyens qui permettent son avènement sont, selon l’auteure, très proches de ceux que revendiquent les anarchistes.


L’article de Jean-Louis Boireau
, intitulé « Godwin et la critique du droit », analyse la critique par William Godwin du Contrat social de J.-J. Rousseau. Selon Godwin, à partir du moment où la sphère politique s’autonomise et se sépare de la société, elle ne peut être le lieu de la rationalité qu’elle prétend incarner, mais se retourne en son contraire, devenant lieu et masque de la domination. Le droit, loin d’être un instrument de la justice ne sert alors qu’à conforter le pouvoir.


Dans « De l’anarchisme au fédéralisme »,
Fawzia Tobgui étudie les conceptions que Proudhon se fait du droit et de l’État. D’une œuvre à l’autre, d’apparentes contradictions surgissent, Proudhon semblant tantôt rejeter droit et État en se fiant à l’organisation sociale spontanée et au rôle régulateur de la coutume, tantôt réintroduire un État (certes démocratique et fédéraliste) pour garantir un système juridique. Il convient, selon l’auteure de l’article, d’expliquer ces positions contradictoires comme le résultat d’une évolution de la pensée de Proudhon, qui, d’une part, modifie sa théorie de la dialectique et, d’autre part, se voit amené par sa réflexion sur la liberté et son antidéterminisme à accorder au droit un rôle de plus en plus positif dans l’organisation sociale. Mais cette évolution conduit-elle un des « pères de l’anarchisme » à abandonner sa progéniture pour finir par se tourner vers l’État, fût-il démocratique, socialiste et fédéraliste ?

L’article de Marco Cossutta, « Une comparaison entre Stirner et Bakounine ; réflexions sur le droit et l’anarchisme », se penche sur les analyses que Stirner et Bakounine donnent de la société pour faire ressortir leur opposition profonde sur la source du droit. Le concept stirnérien de révolte inscrit tout lien intersubjectif dans le rapport de force, alors que la conception bakouninienne de la liberté, qui la saisit non comme une « abstraction », mais comme la résultante de la vie en commun, autorise l’idée d’institutionnalisation de cette liberté, et donc la construction d’une forme juridique, à partir d’un droit naturel.

Dans quelle vision du droit l’anarchisme se situe-t-il ? La position de l’« égoïste » stirnérien nie la possibilité même d’un droit anarchiste. En revanche, la conception sociale de la liberté chez Bakounine présuppose la justice et, donc, l’élaboration de la notion de droit.

La plupart des anarchistes sont loin de rejeter toute règle. Dès lors, quelles catégories de règles sont-elles acceptables, et même nécessaires, dans la perspective libertaire ?

Dans « Idéal libertaire et idée du droit naturel », Alain Perrinjaquet examine successivement les règles éthiques, les règles d’un « droit naturel » antérieur à toute codification et à toute contrainte et les règles d’un « droit positif » codifié et qui admet, si nécessaire, la contrainte, en s’interrogeant à chaque fois sur la compatibilité de ces types de normes avec la vision d’une société libertaire. Cette démarche l’amène à suggérer que ce n’est peut-être pas le rejet par l’anarchisme de tout droit positif, mais plutôt le fait qu’il reconnaît à l’individu des droits de divergence, de désobéissance et de sécession qui distingue spécifiquement le projet libertaire d’un projet de démocratie directe et fédéraliste radicale.

Ronald Creagh, lui, se veut plus radical et argumente dans « Au-delà du droit » qu’une société sans aucun droit est viable. S’appuyant sur Godwin, Thoreau et Kropotkine, il met en avant la notion de « volonté commune » et estime que « les avocats d’une société différente, non fondée sur le droit et l’État, disposent aujourd’hui plus que jamais de multiples terrains d’observation ».

Ce numéro de Réfractions ne propose donc pas une « doctrine » anarchiste en matière de droit mais plutôt une pluralité de perspectives et de réflexions puisque certain(e)s suggèrent qu’un droit libertaire est envisageable alors que d’autres en appellent au dépérissement du droit au profit de la volonté commune afin de « créer une société dans laquelle des êtres humains autonomes pourront collectivement se gouverner dans l’autonomie ». (Castoriadis)


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