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Commission Femmes de la Fédération anarchiste
L’anarcha-féminisme
Claude Rua, Marie-Jo Pothier, Hélène Hernandez, Elisabeth Claude
Article mis en ligne le 7 mai 2010
dernière modification le 7 juin 2011
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Depuis les premières années du XXe siècle, le féminisme recouvre des conceptions et des sensibilités diverses et parfois opposées. Nous pouvons dégager trois grandes tendances qui
accueillent elles-mêmes différents courants. Une avant-garde radicale,
révolutionnaire, très minoritaire, revendique une égalité totale qui
implique de profonds bouleversements des rôles sexuels. Une tendance
réformiste, majoritaire, représentée par les grandes associations
féministes, milite pour l’amélioration progressive de la condition des
femmes et concentre ses efforts sur les réformes juridiques. Une tendance
modérée, essentiellement suffragiste et politiquement conservatrice, se
constitue dans les années 1920. Ces tendances du féminisme constituent
un mouvement aux frontières perméables.

Aux fondements de l’anarcha-féminisme

Le courant que nous tentons de définir et de développer ici s’est appelé anarcho-féminisme au cours de la préparation d’une Rencontre internationale anarcho-féministe, organisée le 2 mai 1992 à Paris aux côtés de la Rencontre internationale des Fédérations anarchistes. Nous cherchons à dévoiler les discours et les pratiques patriarcaux, afin d’élaborer un féminisme et un anarchisme qui se fécondent mutuellement pour développer un projet révolutionnaire d’une société d’individus libres, égaux et solidaires.
Dès l’émergence des idées anarchistes, il a fallu affronter Pierre-Joseph Proudhon qui apparaît autant misogyne que stupide et odieux sur la question des femmes, dans un siècle, certes, empreint de morale
victorienne, mais qui cherchait en France peu à peu à scolariser les filles.
Dans la Pornocratie ou les femmes dans les temps modernes, nous avons droit à quelques florilèges : « La femme ne peut être que ménagère ou courtisane »,
« La femme est un joli animal, mais c’est un animal. Elle est avide de baisers comme la chèvre de sel ». Heureusement des anarchistes comme Joseph Déjacque, Michel Bakounine ou Eugène Varlin s’opposent à ce point de vue.
Quand Proudhon répond à Jenny d’Héricourt à propos de « M. Proudhon et
la question des femmes » paru dans la Revue philosophique en janvier 1857 : « Et si vous ne la comprenez point, cette question […] cela tient précisément, comme je vous l’ai dit, à votre infirmité sexuelle », Déjacque lui rétorque en mai 1857 par une lettre intitulée De l’être mâle et femelle  : « Est-il vraiment possible, célèbre publiciste, que sous votre peau de lion se trouve tant d’ânerie ? […] Cerveau hermaphrodite, votre pensée a la monstruosité du double sexe sous le même crâne, le sexe-lumière et le sexeobscurité, et se roule et se tord en vain sur elle-même sans pouvoir parvenir à enfanter la vérité sociale. » Pourquoi se souvient-on si peu de Déjacque et davantage de la position de Proudhon ?

Quelques figures hautement symboliques de l’anarchisme et du féminisme nous ont ouvert la voie. Qu’il s’agisse de Louise Michel, de Séverine,
de Voltairine de Cleyre, de Nelly Roussel ou d’Emma Goldman, et de tant d’autres moins connues, elles ne se revendiquent pas toutes expressément féministes mais leur vie, leur militantisme, leurs propos, leurs écrits attestent sans équivoque qu’elles veulent être libres de pouvoir penser et agir en tant que femmes et en tant qu’anarchistes. Elles ont su se battre socialement et politiquement, dans toutes les sphères de la société mais aussi au sein du mouvement libertaire pour se faire entendre de leurs compagnons anarchistes dans leur volonté d’exercer pour elles-mêmes et dans la société l’égalité et la liberté : certains de ces compagnons ne partageaient pas tous ces idéaux.

Envers et contre tout, Emma Goldman parcourait les Etats-Unis pour des tournées de meetings sur le birth control, l’amour libre et l’égalité entre les hommes et les femmes. Voltairine de Cleyre argumentait que « le mariage est une mauvaise action » et que « l’esprit du mariage lui-même fabrique l’esclavage ». C’est aussi Nelly Roussel qui écrit : « Le capitalisme a bon dos, et… il est vraiment trop commode aux hommes de rejeter sur lui l’entière responsabilité de choses qui sont dues, pour une bonne part, à leur égoïsme personnel et à leurs préjugés. » Madeleine Pelletier, femme médecin, qui finira ses jours à l’asile, condamnée pour avoir pratiqué des avortements, rappelle dans l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure que le féminisme est une doctrine qui revendique l’émancipation sociale et politique des femmes : « Les anarchistes, qui ne reconnaissent pas la valeur du suffrage universel, ne s’intéressent pas aux revendications politiques des femmes. Mais la société présente n’est pas l’anarchie, et il est naturel que les femmes éprises de justice et d’égalité revendiquent le droit dans la société d’être ce que sont les hommes. » « Ce qu’il nous faut, disait Nelly Roussel, c’est l’indépendance complète, qui n’exclut nullement, bien entendu, l’aide fraternelle et mutuelle. »

Michel Bakounine ou Eugène Varlin furent également des défenseurs des droits des femmes. Au sein de l’Association internationale des travailleurs à
Genève en 1866, Varlin s’opposa à une motion condamnant le travail salarié des
femmes. C’est surtout dans le mouvement néo-malthusien, autour de Paul Robin, puis d’Eugène et Jeanne Humbert, qu’on rencontre le plus grand nombre d’anarchistes convaincus de la nécessité de rompre avec l’oppression spécifique subie par les femmes. En dissociant la sexualité de la reproduction, ils refusent de fournir de la chair à canon pour l’armée et de la chair à travail pour l’usine. Si certaines femmes ne concevaient pas leur rôle de mère comme celui d’utérus pour la patrie, pour Armand il en allait de même.
En 1911, il écrit dans le Malthusien  : « La fécondation irréfléchie ravale la femme au rang d’une pondeuse et fait de l’homme qui accepte les charges de la paternité une bête de somme. » Au début du XXe siècle, Sébastien Faure, Manuel Devaldès, Jean Marestan ou André Lorulot choisirent d’appuyer le mouvement néo-malthusien et donc le camp pro-féministe. Le débat est plus difficile au sein de la CGT syndicaliste révolutionnaire. Si les anarcho-syndicalistes voient surtout dans la maîtrise de la fécondité une possibilité de réduire la misère, les anarchistes individualistes défendent une plus grande liberté individuelle, tant pour la femme que pour l’homme : liberté gagnée sur l’esclavage des maternités et sa dépendance à l’homme, pour l’une, liberté gagnée quant à la surexploitation que représentent les heures supplémentaires pour faire vivre la progéniture, pour l’autre.

Les anarchistes, femmes ou hommes, ont non seulement été des propagandistes et des théoriciens qui ont marqué leur temps, mais ils ont aussi mis en place des réalisations concrètes (organisation de la résistance et de la vie quotidienne, éducation, bourses du travail, diffusion des moyens contraceptifs, etc.), dans leur engagement pour éradiquer toute forme d’oppression et d’exploitation des femmes.

En Espagne à tous points de vue, et donc y compris au niveau des femmes, l’idéal libertaire a pu exister dans toute sa plénitude. Vingt mille femmes anarchistes et féministes se regroupent, en 1936, au sein de l’organisation « Mujeres Libres » pour lutter contre l’oppression spécifique
des femmes, leur exploitation économique et leur ignorance maintenue autant par le capitalisme et le machisme que par la religion. Anarchistes, elles éprouveront l’impérieuse nécessité de se regrouper, non seulement pour attirer de nombreuses femmes qui n’auraient pas rejoint d’emblée l’organisation mixte, mais aussi pour pouvoir lutter efficacement contre leur oppression spécifique. Sans ce rassemblement de femmes anarchistes au sein de la révolution espagnole, les revendications des femmes auraient-elles pu émerger et donner naissance à autant de réalisations concrètes et mobiliser autant de femmes ? Elles revendiquent le droit à l’éducation, au travail, à l’amour
libre. Elles organisent des cours d’alphabétisation, de culture générale mais aussi des formations techniques professionnelles ; elles mettent en place des crèches dans les usines et les quartiers, réclament le salaire unique et luttent contre toute forme de mariage. Elles légalisent l’avortement le 25 décembre 1936 en Catalogne.

Leur combat pour leur émancipation, les femmes de Mujeres Libres tentent de le porter au coeur du mouvement libertaire mais y trouvent de solides résistances. Au plénum d’octobre 1938, Mujeres Libres présente un rapport afin de solliciter sa reconnaissance comme partie intégrante du mouvement libertaire : cette démarche est repoussée avec l’argument qu’une organisation spécifiquement féminine serait pour le mouvement un élément de désunion et d’inégalité, et que cela aurait des conséquences négatives pour l’essor de la classe ouvrière. Une façon d’avouer la hiérarchisation des terrains de lutte.

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