Les journaux, magazines, revues sont pleins de considérations sur la crise financière/économique. N’ayant pas de point
de vue original sur la question, je serai aussi bref que possible.
Pratiquement tout le monde s’accorde sur le rôle déterminant des
subprimes dans le déclenchement de la crise. Qu’ont permis les
subprimes, aux États-Unis de 2004 à 2007 ?
Cette géniale innovation financière a d’abord permis à un grand
nombre d’Américains peu fortunés d’accéder à un logement spacieux
(la moyenne de surface des logements aux États-Unis est de 240 m2),
elle a permis au secteur du bâtiment de fonctionner à plein, fournissant
du travail à un grand nombre de personnes, y compris à des travailleurs
immigrés. Tous ces travailleurs ont pu dépenser leur salaire, et ainsi
faire fonctionner l’industrie manufacturière.
Comment tout cela a été rendu possible, alors que ce n’a pas été le
cas en Europe ? Par l’utilisation de taux d’intérêt variables, très faibles
au début, très progressifs ensuite. Ces taux, indexés sur le taux directeur
de la banque centrale étaient majorés, pour couvrir le risque plus élevé
pour le prêteur, étant donné que l’emprunteur avait des revenus faibles
et instables, d’où le nom de subprime. Ces prêts étaient bien entendu
assortis d’une hypothèque sur le bien acheté, ce qui se pratique
également en Europe. En cas de défaillance de l’emprunteur, le
créancier procède à la vente du bien hypothéqué, ce qui fonctionnait
très bien tant que le prix de l’immobilier était à la hausse.
À partir de 2007, la Réserve fédérale ayant relevé son taux directeur
à 5 %, pour 1 % en 2004, un grand nombre de familles endettées se
sont trouvées dans l’impossibilité de faire face à leurs échéances, un
grand nombre de biens immobiliers se sont trouvés en vente et leur prix
a baissé jusqu’à devenir inférieur au montant restant dû.
Un élément indispensable de cette
innovation financière avait été la
titrisation consistant à regrouper les
créances en asset-backet securities (ABS)
revendues à des banques ou à des
rehausseurs de crédit qui les
transformaient en collateralised debt
obligation (CDO) en les mélangeant à
des obligations plus sérieuses.
Ces CDO étaient ensuite mises sur le
marché avec un rendement intéressant,
largement supérieur aux obligations
émises par les états ou par les grandes
entreprises.
Une des justifications théoriques de la
titrisation était la mutualisation des
risques, l’un des principes de l’assurance,
partant du fait habituel que tous les
malheurs n’arrivent pas en même temps,
ce qui a très bien fonctionné.
Pendant ces années, les banques en
Europe avaient continué à pratiquer leur
politique très prudente en matière de
prêt immobilier aux particuliers. Un
candidat au prêt qui a eu par le passé un
problème sur un autre prêt voit son
dossier refusé a priori. La banque exige
un apport personnel variable de 10 à
30 % généralement, des revenus tels que
le remboursement ne soit pas un
problème insurmontable, par exemple,
pas plus de 30 % du revenu. La banque
prendra une garantie dite réelle, la
plupart du temps une hypothèque, et
parfois réclamera en plus des cautions,
apportées par les parents par exemple.
On entend souvent se plaindre de ces
salauds de banquiers qui ne veulent pas
prêter ou alors réclament des garanties
impossibles.
Avec une telle politique prudentielle,
comment les banques européennes se
sont elles trouvées en difficulté ? Elles ont
considéré qu’il était préférable de prêter à
des riches américains plutôt qu’à des
pauvres européens.
Les banques européennes avaient
donc massivement acheté ces CDO qui
offraient des rendements bien supérieurs
à ce que pouvait rapporter un prêt
garanti. Les banques asiatiques et
moyen-orientales avaient d’ailleurs fait
de même. Certains banquiers avaient,
dès septembre 2006, pointé un risque lié
à ces CDO, mais la pression des
actionnaires a conservé la préférence
pour ces produits financiers hautement
rentables.
À partir de l’été 2007, les banques du
monde entier ont dû constater leurs
pertes liées à ces CDO. Cinq cents
milliards de dollars de pertes…
Suite à cette crise de liquidités,
l’économie mondiale s’est trouvée dans
une situation de récession. Les banques
se sont trouvées dans l’impossibilité de
prêter aux entreprises tout l’argent dont
elles ont habituellement besoin pour
fonctionner, et ont également réduit les
prêts aux particuliers.
Étant donné l’interconnexion très
forte des systèmes financiers, cette
situation s’est très rapidement propagée
à l’échelle mondiale. La contraction s’est
d’abord fait ressentir dans les secteurs où
un crédit est indispensable : les gros
investissements des entreprises, les
investissements des collectivités locales,
les achats immobiliers des particuliers,
puis les achats de voitures automobiles.
Les entreprises ont donc très souvent dû
différer leurs investissements de biens
d’équipement. Les collectivités locales
qui de plus avaient parfois cédé à des
propositions de restructuration de leur
dette vers des produits financiers
innovants se sont trouvées en difficulté,
et dans l’obligation de réduire leurs
investissements. La situation des
particuliers est sans doute la plus
immédiatement compréhensible : qui
achète un appartement ou fait construire
un pavillon et paye cash ? la proportion
est en tout cas très faible. Dans cette
situation où les banques réclament des
garanties de plus en plus élevées, la
proportion des dossiers de prêt acceptés
diminue. Dire que le particulier diffère
son investissement serait un euphé-
misme, tout simplement, il reste dans son
logement actuel. En France les deux tiers
des achats de voitures ont lieu à crédit,
les restrictions de crédit ont donc un effet
direct sur les achats d’automobiles.
Le résultat de cette contraction de
l’activité a été la mise au chômage,
d’abord dans le secteur financier, ce qui a
fait rigoler tout le monde, ces traders
l’avaient bien cherché, puis dans le
secteur de l’immobilier, ces commerciaux
avaient gagné beaucoup d’argent en
commissions, juste retour des choses,
puis dans le secteur du bâtiment. Des
ouvriers du BTP au chômage c’est
sérieux, et si leur fille qui avait fait un BTS
ne trouve pas un emploi à la banque et se
retrouve caissière de supermarché, c’est
sérieux aussi.
L’industrie automobile fonctionne
depuis longtemps en situation
d’instabilité et a su trouver certaines
parades. La baisse de la demande de
voitures ne s’est pas immédiatement
traduite par des licenciements de
personnel en emploi fixe. Les premiers
concernés l’ont été chez les sous-traitants
étranglés à la fois par la baisse des
commandes et par les restrictions de
concours bancaires. Plus concrètement,
dans l’industrie en général et dans
l’industrie automobile en particulier, la
grande entreprise se réserve la maîtrise
de la conception et de la commercialisation des produits sophistiqués, fait
réaliser les tâches subalternes par des
entreprises petites ou moyennes qui de
plus sont payées avec des délais élevés
(90 jours couramment). Le sous-traitant
assure en partie la trésorerie de son
donneur d’ordre et largement la gestion
des fluctuations de production, flux tendu
oblige. Ces entreprises ont été les
premières touchées et leur personnel
généralement peu syndiqué en premier
lieu.
Quand PSA a annoncé des restrictions
du personnel fixe à Rennes en
novembre 2008, l’affaire a commencé à
se corser.
La crise économique a concerné
immédiatement les travailleurs privés
d’emploi, l’effet cumulatif de cette
récession a été jusqu’à présent peu perçu.
Je cite ici François Chesnais (Carré rouge)
qui s’exprime mieux que je ne pourrais le
faire :
On parle de mécanismes cumulatifs
lorsque ces effets de propagation se
mettent à rétroagir, agir en retour. Par
exemple, la contraction de crédit aux
entreprises et aux ménages conduit les
premières à réduire leur production et à
diminuer la masse des salaires versés
(chômage technique, licenciements) et les
seconds à ne pas faire les achats où un
crédit est indispensable. Les deux effets
se cumulent et font baisser la demande
tant de biens intermédiaires entrant
dans la production que de biens de
consommation. Cela touche très vite les
entreprises qui réduisent encore leur
production avec des effets sur les bilans
que confirment les banques dans leur
position de refus du crédit, refus qui met
les entreprises en faillite, avec nouvelle
chute de la masse salariale et contraction
en conséquence de la demande, etc. En
même temps, il y a propagation de tout
cela de pays à pays, ce qui renforce les
rétroactions et accroît le caractère cumulatif de l’ensemble du processus.
Il convient d’ajouter l’effet de la baisse
des actions, destruction de capital fictif,
qui a contribué à appauvrir non
seulement les entreprises et les riches
capitalistes, mais aussi des catégories
plus modestes de la population, dont un
grand nombre de retraités.
La perception de la crise est peu
sensible en France, surtout chez les
particuliers. Les « élites » – comprendre
les dirigeants et leurs sbires – en rajoute-
raient pour inquiéter le populo. L’inquié-
tude est grande chez les dirigeants de
PME, soit ceux qui sont déjà touchés par
la récession, soit ceux qui constatent une
légère baisse de leur chiffre d’affaire mais
anticipent les difficultés. Pourtant en
France, la consommation ne baisse pas,
celle des ménages en produits manu-
facturés aurait d’ailleurs augmenté de
1,8 % en janvier 2008 par rapport à la
même période de l’année précédente,
selon l’INSEE.
Les revendications des salariés sont en
France, globalement orientées vers la
défense du pouvoir d’achat, et locale-
ment, là où il est gravement compromis,
vers la défense de l’emploi.
En 2000, Lionel Jospin déclarait, à
l’occasion de l’annonce de licenciements
chez Michelin, par ailleurs largement
bénéficiaire « l’état ne peut pas tout ». Les
temps ont changé. L’idéologie libérale se
fait plus discrète et son influence sur le
personnel politique moins directe.
L’actuel chef de l’État voudrait au
contraire nous persuader que l’État peut
tout. Des mesures spectaculaires ont été
annoncées, les sommes en jeu aug-
mentent d’un jour à l’autre.
Dans les divers pays développés, les
plans de relance varient en fonction des
traditions locales et des sensibilités du
gouvernement en place. En France l’état
intervient, ou projette de le faire dans les
secteurs les plus touchés.
Par rapport aux banques, comme
assureur, en cautionnant les dépôts,
comme investisseur en prenant des
participations, comme prêteur en
apportant des liquidités remboursables et
porteuses d’intérêt.
Par rapport au BTP (bâtiment,
travaux publics) par des investissements
en grands travaux, et par des mesures en
faveur de l’habitat social (il est bien clair
que les motivations n’ont rien de social
mais visent à aider l’industrie).
Par rapport à l’industrie automobile,
par la prime à la casse puis par des prêts
aux constructeurs, assortis de conditions
de non-fermeture de sites industriels, et
de non-recours aux délocalisations, qui
posent problème au niveau européen.
Les états financent toutes ces mesures
par l’emprunt, à des taux inférieurs à ceux
consentis aux entreprises. La question de
la solvabilité des états risque donc de se
poser. La question de l’indépendance des
agences de notation, qui notent les
entreprises et les États, se pose depuis
bien longtemps. La question de la
nationalisation des banques se pose de
plus en plus, il est clair qu’il ne s’agit pas
dans ce cas de socialisme.
De mon point de vue, la situation
économique des pays développés est
extrêmement grave. Ceux de mes
camarades qui croient (il s’agit bien de
croyance) à la fin proche du capitalisme
ne peuvent que s’en réjouir, mais est-ce
bien le cas ?
Je cite ici un extrait d’un texte non
publié (octobre 2008), de Daniel
Blanchard.
Que peut-on attendre de l’actuelle crise
économique ? Je ne pense pas que ce soit
la fin, le Jugement Dernier du capitalisme,
tel que les marxistes le rêvent depuis 150
ans. Quelle que soit la gravité de cette
crise, elle ne peut déboucher que sur un
capitalisme réformé — ou peut être
même pas — puisque, dans la période
présente, aucune force véritable, dans
aucune région du monde, ne se donne
pour but de le remplacer par un autre
régime. Et les mesures annoncées
jusqu’ici ne semblent guère préparer
autre chose que la restauration du régime
démentiel qui a conduit à cette crise.
Mais une crise est toujours critique : elle
dit la vérité du système en crise ou, à tout
le moins des vérités sur lui.
Aucune force véritable, sans doute, et
une force véritable est pourtant nécessaire pour détruire le capitalisme. Il existe
dans toutes les régions du monde des
groupes, des mouvements, des collectifs
plus ou moins éphémères, qui développent une critique réellement radicale
du monde capitaliste, du monde
industriel, de la division du travail. Dans
quelles conditions cette critique pourra-t elle s’étendre, dans quelles directions,
avec quels outils ? Ce numéro de
Réfractions permettra peut-être de
donner quelques pistes.
Pierrick