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Paul Virilio, Enrico Baj, Discours sur l’horreur de l’art ACL,76 p., 2003,10 euros
Article mis en ligne le 30 juin 2005
dernière modification le 1er juillet 2005

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Discours sur l’horreur de l’art s’inscrit dans le droit fil de Sous l’art, l’or, dans lequel l’artiste milanais Enrico Baj se livrait à une critique virulente de l’emprise des marchands sur la création.

Au travers d’un dialogue vif et passionnant entre un praticien de l’art épris de théorie sociale, Baj, et un théoricien social épris de pratique artistique, Virilio, la dénonciation commune de la société de spectacle, de l’exhibition, du brillant et du dérisoire (à un point tel « qu’on en oublierait presque le principal, à savoir la surveillance des maîtres » comme le souligne fort judicieusement le traducteur Jean-Manuel Traimond) prend tout son sens et nous procure une légitime délectation.
D’entrée Virilio nous prévient :
« Les choses n’ont plus de valeur. Nous sommes confrontés à la démesure de la valeur. Warhol n’est plus coté, il
est déliré. »

Au cours de leur conversation, Baj et Virilio s’interrogent sur la disparition de l’art (« L’esthétique de la disparition contient aussi la possibilité de la disparition de l’esthétique. Il s’agit d’une possibilité réelle, pas d’une simple inversion de mots. ») ; sur la génétique qui veut devenir art ; sur la menace qui pèse sur les corps (« Tous les corps sont menacés, le corps territorial est menacé, le corps social est menacé par le grand marché, le corps animal et le corps humain sont menacés par les expériences génétiques. »). Virilio - qui a travaillé avec Braque à la réalisation de vitraux puis avec Matisse à Vence - s’intéresse à l’importance de la pulsion de mort à la base, selon lui, de certains courants artistiques et non des moindres, l’expressionnisme par exemple. Cela relève d’une esthétique de la répulsion dont une des dérives extrêmes est « la torture permanente des corps et le terrorisme latent des avant-gardes, avec les dadaïstes, les surréalistes, les situationnistes et le début d’un culte de l’automutilation promu par les actionnistes viennois dans les années 1970 ». En un parallèle saisissant avec l’ouvrage de Viviane Forrester, Baj parlera lui de l’horreur esthétique.
L’idée chère à Virilio du musée des accidents reposant sur l’idée d’exposer l’accident (« pas de s’y exposer mais de l’exposer » souligne-t-il) trouve tout naturellement place dans cette critique généralisée à laquelle on souscrit bien volontiers, même si nous pouvons rester dubitatifs devant l’inclination toute chrétienne de Virilio à penser « qu’un individu une fois libre de toute contrainte ou limitation sociale ne puisse choisir autre chose que la voie du mal, en d’autres termes la facilité ».

Lorsque Baj lui demande : « Dans l’art, la démocratisation, c’est quoi ? » Virilio répond sans ambages :
« C’est la pop-culture, qui est le supermarché de l’art. La pop-culture, c’est de la merde, ce qui n’empêche pas qu’il s’y trouve des œuvres valables. Mais la pop-culture, c’est comme la publicité, comme l’affiche d’une bière ou de MacDo. »
La dernière salve sera tirée par Baj qui tord le cou à l’idée de progrès en laquelle on veut reconnaître l’explication de la modernité.
« Or, dit-il, la conception du progrès ne revêt aucune signification importante dans le domaine de l’art. Les manifestations les plus spectaculairement médiatisées qui séduisent le grand public, les prix fabuleux atteints par Picasso, les mutilations corporelles, la vente de merde en boîte (œuvre de Piero Manzoni, 1961, n.d.l.r.), la sérialisation,
la chaise électrique de Warhol et l’art post-biologique n’en ont pas non plus. »

« Demanderons-nous alors que l’art sorte des pompes funèbres où il attend son inhumation ? »
La dernière phrase du livre est cruelle. Mais guère plus que la disparition de l’esthétique, la pauvreté des propositions artistiques les plus actuelles ou encore l’indigence d’une création soumise aux normes de la société marchande.

B. H.




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