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Point de vue croisé sur Politique du rebelle de Michel Onfray
Article mis en ligne le 31 août 2009

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Au-delà de ce qui peut apparaître comme une attitude esthétique un peu provocatrice, le livre de Michel Onfray s’ancre dans une réalité contemporaine difficilement contestable : la misère croissante et imposée comme fatalité à une partie de plus en plus importante de l’humanité. Cette misère, M. Onfray le souligne à juste titre, s’inscrit d’abord dans le corps des exploités : corps battus, humiliés, torturés ou niés. C’est dans le corps des hommes que s’inscrit d’abord leur exploitation. Ce sont ces corps qui sont d’abord enchaînés dans ces « cercles de l’enfer » que décrit Michel Onfray avec une sensibilité et une indignation que nous partageons. Cercles de l’enfer qui forment à leur tour un corps – vivant malgré l’exploitation – qui pourrait s’opposer au Léviathan de Hobbes. À ce titre, il n’est sans doute pas inutile de rappeler à la pensée anarchiste traditionnelle l’importance de cette inscription corporelle, l’importance du jeu et du plaisir en particulier. Bien que présente dans la tradition libertaire, puisque déjà Godwin en souligne l’importance, cette tradition a souvent gardé pour les libertaires un caractère marginal qu’il n’est sans doute pas inutile de réhabiliter.

Mais, curieusement, les pistes indiquant une voix de libération ne viennent pas de ce corps qui, sous les chaînes, demeure vivant, mais de penseurs d’un autre univers. Il ne s’agit pas ici de nier l’importance que peuvent avoir les pensées de Nietzsche ou de Deleuze 1 et ce qu’elles peuvent apporter « de l’extérieur » à la pensée libertaire. Les anarchistes ne sont pas des extra-terrestres. Ils vivent dans une communauté humaine qu’ils partagent avec tous ; comme tous, ils s’en enrichissent. Mais il y a un contraste saisissant entre ce corps « prolétaire » meurtri et un salut qui vient de ce qu’il faut bien considérer comme une élite, certes proche, mais élite quand même.

J’aurais par exemple souhaité que Michel Onfray évoque les différents mouvements sociaux qui ont agité ce corps ces dernières années. Qu’il parle par exemple de décembre 95. Qu’il se demande, et nous demande, si les « enchaînés » dans les « cercles de l’enfer » n’ont pas échappé, ne serait-ce que furtivement, à ceux-ci. L’anarcho-syndicalisme, auquel il accorde sa sympathie, ne s’est pas arrêté à Georges Sorel, qui n’en représente qu’un aspect théorique souvent discutable à mon avis. D’autres que Blanqui, moins jacobins que lui, ont vécu ou vivent encore une vie de travailleur et donc d’enchaîné, au cours de laquelle ils n’ont jamais plié. Il y a aussi les squatters, d’autres aussi... L’anarchisme d’aujourd’hui ne se limite pas à l’aspect dogmatique et quelque peu figé que semble avoir retenu Onfray. De l’intérieur même, nombreux sont ceux qui tentent de le revivifier, aussi bien d’un point de vue théorique que dans la pratique.
M. Onfray cite Simone Weil et Albert Camus. La première n’a pas hésité, quelles que soient ses pensées ultérieures ou même contemporaines, à s’engager concrètement aux côtés des anarcho-syndicalistes espagnols. Albert Camus, sans jamais être un « compagnon de route » au sens où l’était Sartre pour le PC, a dialogué avec les anarchistes à propos de l’Homme révolté (voir la correspondance avec Gaston Leval) et a aussi participé à des meetings aux côtés des anarchistes.

Pourquoi ne pas souhaiter que s’engage avec Michel Onfray un dialogue du même type ?

Alain Thévenet




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