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Alain Thévenet
Qui a peur du méchant loup ?
Article mis en ligne le 15 décembre 2007

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En deçà d’une limite dans le temps, il y a l’enfant que j’étais.
Ces limites peuvent-elles se franchir, et comment ? Y a-t-il un retour
possible ?


Ce que font les enfants de la peur

La peur, c’est par exemple le cauchemar, ce que connaissent bien les
enfants. C’est aussi, qui l’environne ou le précède, toute cette étrangeté
qui se manifeste la nuit.

Xavier vient trouver le psychologue parce que, la nuit, il a un vampire
dans son placard. Il le décrit. Une horreur. Ça dégouline, ça suinte, et
ça pique de partout. Il y a un problème supplémentaire, et c’est ce qui
inquiète le plus sa mère : ce vampire est son copain. Et lorsqu’il l’avoue,
un éclair de plaisir illumine son visage.

Patrice a fait un cauchemar horrible : un loup le poursuivait, le
poursuivait, longuement. Et lorsqu’il l’atteignit, il le transperça d’un
coup de poignard dans les reins. À cette évocation, un frisson le saisit
encore. Frisson de peur ou de plaisir ? Ce loup avait un nom ; il
s’appelait Petit-Loup.

Éric est venu consulter au Centre médico-psychologique à onze ans.
Le professeur de français avait donné un sujet de rédaction : « Racontez
ce que vous feriez si vous étiez libre ». Il aurait accumulé de l’essence
dans la cave du collège et y aurait mis le feu. Le professeur s’est inquiété
et l’a envoyé consulter le psychologue (dans ce cas précis, et pour
d’autres raisons, il n’avait pas tort). Éric se justifie : il n’y avait pas de
quoi s’affoler, c’était juste son imagination. Quelques années plus tard,
il vient en séance l’avant-bras tailladé (il se dit alors proche des néo-
gothiques). Mon inquiétude doit transparaître,
puisqu’il me demande, la fois
suivante, pourquoi j’ai eu peur. « C’était
simplement pour sentir ce que cela
faisait », me dit-il.

Cet autre adolescent avoue traîner
dans des lieux qu’il imagine pleins de
dangers, dans l’espoir de pouvoir, enfin,
affronter ce danger qu’on lui a présenté
sous des formes tellement terrifiantes
qu’il en devient délectable. Pressent-il de
quelle sorte de danger il peut s’agir ? Ce
n’est même pas sûr.

Cette enfant de trois ans, à toute nouveauté
ou à tout bruit inconnu, se répète,
à la suite : « Peur ? Pas peur ? ».

Moi-même, je me souviens… J’avais
neuf ans, je crois. Pendant quelque mois,
j’ai eu, la nuit, une peur atroce. Ce qui
m’effrayait le plus, c’est que, jusque-là, je
n’avais jamais connu cela. C’est passé
lorsque j’ai fini par attendre cette peur et,
d’une certaine manière, l’appréhender
sans peur. Que fait-on de sa peur
lorsqu’on est enfant ? Peut-être qu’on
l’apprivoise, qu’on en fait une compagne
familière, qu’on joue avec elle… Ce qui
était au fond de nous, on le fait remonter
à la surface, on lui donne un sens. Cette
peur, qui renvoie à une angoisse plus
archaïque, on la fait sienne, même si on
l’accroche à des événements ou à des
faits qu’on a pêchés dans la réalité et
même si on accepte de la partager
.

D’où l’intérêt pour les contes de fées,
dont il est question ailleurs dans cette
revue. Ou, dans un autre registre, pour
les films « gore », lorsqu’on est plus
grand, ou de manière plus malsaine, pour
les faits divers sordides.

Les grands aussi ont peur

Et puis, on devient adulte. Bien sûr, la
peur est toujours là. Mais il faut s’en
détacher. Ou alors, c’est qu’on n’a pas su
mûrir. Ou bien c’est qu’on est fou. Au
minimum, cette peur, il faut la confier à
un psy qui, dans le meilleur des cas, vous
la restituera et vous aidera à la faire vôtre.
Mais la solution la plus simple consiste
à lui trouver une cause extérieure à soi,
des dangers réels qui ne sont pas toujours
fantasmatiques, mais qui prennent
une importance démesurée.

Par exemple, l’insécurité. Pas de
problème, elle est toujours là. Ne seraitce
que parce que nous ne savons ni
quand, ni comment nous allons mourir,
ou perdre ceux que nous aimons. C’est,
bien sûr, la même peur qu’éprouvait, au
fond, l’enfant. Mais il ne disposait pas des
mêmes facilités pour la mettre ailleurs.
Il y a aussi les cauchemars qui reviennent.
Et qui nous rappellent que
nous sommes encore des enfants. Mais
le jour venu, on les cache, on les oublie.
Nous qui sommes des adultes sérieux et
responsables, ce ne peut être de notre
enfance qu’il s’agit. Donc, retour aux
peurs qu’on peut identifier. Comme
celles-ci sont évidemment liées au
contexte économique et social, elles sont
en même temps bien utiles aux pouvoirs
institués qui affirment être seuls en
mesure de les combattre.

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