Réfractions, recherches et expressions anarchistes
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Éditorial
Article mis en ligne le 28 février 2020

par Marcira
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LA QUESTION DE L’UNIVERSEL A RESSURGI AVEC L’ÉMERGENCE DE LA PENSÉE DÉCOLONIALE, et le déplacement des approches théoriques et militantes de l’émancipation qu’elle a entraîné, mettant en avant les particularismes et les identités et voulant renvoyer les visées universelles émancipatoires dans un passé dépassé ; or, ces nouvelles approches ont pris le risque de ne pas échapper à des effets re-essentialisants, identarisants et excluants.Retour ligne automatique
Ce numéro entend donc repenser la question selon ces enjeux, en interrogeant ce que serait un universalisme accueillant les différences (et à quelles conditions il peut être utile à une visée libertaire de l’autonomie), ou en pariant au contraire sur son inutilité et sa disparition. Comme souvent, il offre une pluralité d’approches et de points de vue et ne prétend pas trancher dans le débat ni apporter de solutions.
Traditionnellement, l’anarchisme est ouvert à un relativisme garant des dif- férences et gage de tolérance, mais aussi profondément attaché à l’universalité des valeurs de liberté et d’égalité. On retrouvera ce balancement au fil des textes, le plateau penchant alternativement dans un sens ou un autre.
M. Rouillé-Boireau s’essaie à penser un universel renouvelé, en revenant sur les limites de la critique postmoderne des Lumières trop oublieuse de son héritage critique et émancipatoire, qu’elle s’emploie à repréciser, pour envisager ensuite un universel repensé dans la pluralité et respectueux de la diversité culturelle, et conclure à l’indispensable conservation d’un universalisme régulateur, seul garant de l’appartenance au genre humain, car si les droits de l’homme ne sont pas universels, leur défaut fait ressurgir à vif un universel de l’humain. L’universel peut être alors un horizon, une figure de la résistance.
T. Ibañez quant à lui soutient que les tentatives, politiquement fort louables, de renouveler l’universel introduisent par la fenêtre les travers du vieil universalisme qu’elles chassent par la porte. Le fait de proclamer l’universalité de certaines valeurs n’ajoute rien à la volonté anarchiste de les défendre mais revient à les situer hors du champ des décisions humaines, qui sont inévitablement contextualisées et historiques a contrario de ce qu’implique l’universalisme. Ce n’est là que l’une des raisons qui lui font dire que l’anarchisme se doit d’être un anti-universalisme.
Suivent deux textes prenant du recul historique. D. Colson confronte sur cette question les deux grands courants politiques qui ont rivalisé dans les luttes sociales pendant plus d’un siècle et demi : le marxisme et l’anarchisme. Il précise l’affrontement historique entre le pragmatisme anarchiste et le dogmatisme marxiste, avec d’un côté « la classe ouvrière » du marxisme et de l’autre côté « les classes ouvrières » de Proudhon porteuses par leur nombre et leur singularité d’un possible émancipateur. Mais le projet et la pensée libertaires ne renoncent pas pour autant à l’idée d’universel : ce que j’ai de commun avec les autres c’est d’être radicalement différent d’eux. Et c’est cette différence qui est universelle.
M. Enckell va puiser dans les positions de la Fédération jurassienne (1871) un exemple de ce que pourrait être un « universalisme » non autoritaire, lié non pas à un projet expansionniste ou colonialiste mais à l’envie de partager le même idéal émancipateur avec le plus de personnes possibles ; cet élan vient subvertir d’autres universalismes ou pseudo-universalismes, de même que les chauvinismes belliqueux.
Puis D. Morel et P. Sommermeyer proposent une réflexion qui touche au plus profond de la culture occidentale, les liens du judaïsme, du monothéisme et de l’antisémitisme. Il apparaît, dit-il, que c’est par le biais du monothéisme que le judaïsme a fait irruption dans la culture hellénistique, et il se demande s’il est possible de voir dans ces intrusions les prémices d’un antijudaïsme qui ne se transformera en antisémitisme que deux mille ans plus tard.
Deux textes d’anthropologues élargissent les termes des débats. Pour Ch. Macdonald les humains sont d’abord des mammifères grégaires marqués par la reproduction sexuée et la néoténie avant de posséder le langage ; il en conclut donc à l’existence d’universaux d’ordre biologique, mais étroitement associés à des éléments ou des aspects de comportements par ailleurs « culturels », par exemple l’existence de système de parenté.
J. Scott considère que l’universel peut être émancipateur, à condition d’être une déclaration universelle pour le respect des différences, sociales, culturelles et langagières. Par « instinct anarchiste », il est enclin à penser que plus les unités sont petites, plus les possibilités de démocratie sont fortes, tout en sachant qu’il peut y avoir une face sombre du séparatisme et qu’il y a toujours des minorités à l’intérieur des minorités.
Dans son commentaire à Scott, E. Sommerer doute que l’universel soit autre chose qu’un fantasme ou une stratégie de dissimulation de la contingence, mais il doute aussi que l’on puisse s’en passer pour fonder une société stable. En conséquence il propose « un anarchisme de la fuite » et un « universalisme stratégique » qui impliquent le développement d’identités mal- léables, changeantes, qui en font des armes et des leurres dans leur lutte contre la domination étatique.
Deux articles mettent en relation l’universel avec les luttes féministes actuelles. F. Picq considère que l’introduction de la pensée décoloniale dans ce mouvement constitue une régression du questionnement beauvoirien sur la différence des sexes. Historiquement le féminisme français a revendiqué les droits des femmes au nom des Droits de l’Homme. Les discriminations sont une réalité sociologique, et il faut les combattre, mais il faut le faire au nom du principe de l’égalité en droit et en dignité de tous les êtres humains. R. Gandini Miletto s’interroge sur les effets induits par le fait (masqué) que ce sont les dominants qui désignent et qui choisissent le cadre de référence qui préside à la construction des catégories : ce sont eux qui désignent alors les Autres comme autres, comme différents, particuliers.
La rubrique Anarchive reprend un texte d’E. Colombo publié dans l’ouvrage Tout est relatif. – Peut-être. Pour l’auteur, l’absence de certitudes fondamentales (le relativisme radical) exige une vision universaliste qui ne peut être affirmée sans expliciter les valeurs qui soutiennent cette vision.
En Transversales, deux textes fort différents. Le premier établit la filiation entre Gustav Landauer et Johann Gottfried Herder. Celui-ci est principalement connu pour sa critique interne de l’universalisme des Lumières, pour sa conception de l’origine du langage et pour son esquisse de philosophie de l’histoire, et on retrouve chez l’anarchiste Landauer, promoteur d’un socialisme libertaire, culturel et communautaire, des traces de sa pensée, quand il plaide pour une évolution internationale qui soit un avantage pour l’humanité tout entière et favorise la liberté individuelle et la communication so- ciale.
Ensuite, une lettre de Hong Kong, d’août 2019, informe sur les mouvements actuels.
« Pour continuer le débat » sur le thème du n° 41 de Réfractions, Discrets, secrets, clandestins, R. Riesel n’épargne pas les groupuscules jouant à la clandestinité.

La commission du numéro 43




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