Il faut bien sûr se méfier des anachronismes. Nous savons depuis une trentaine d’années qu’une grande partie des juifs européens ont disparu dans les camps. Les massacres de toute sortes sont du domaine public. Mais au fond que savait-on en 1945 ?
De la fin de la guerre à la création de l’Etat d’Israël
Article paru dans le Monde libertaire de février 2019
En guise de préalables
Il faut bien sûr se méfier des anachronismes. Regarder la situation en 1945 avec des yeux d’aujourd’hui ne peut être que trompeur. Nous savons depuis une trentaine d’années qu’une grande partie des juifs européens ont disparu dans les camps. Les massacres de toute sortes sont du domaine public. Mais au fond que savait-on en 1945 ? C’est bien la question. Le premier numéro du Libertaire de cet après-guerre est publié avec la date du 14 décembre 1944. A ce moment-là la guerre est loin d’être finie. Il faudra attendre encore presque six mois pour que Berlin tombe. Ce Libertaire n°1 essaye de faire le point sur la situation générale. Ses rédacteurs déclarent que si « la lutte contre l’hitlérisme doit être menée à bonne fin, nous n’entendons pas par-là apporter une adhésion complète à toutes les formes que peut revêtir cette lutte ». Ce qui marque à sa lecture est un article célébrant mai 36 en Espagne avec la photo de Durruti.
Dans le deuxième numéro qui est paru en février 45, une colonne est consacrée au peuple allemand. Le parti travailliste britannique vient de déclarer « que le peuple allemand devait partager au même titre que ses chefs la responsabilité de cette guerre ». Ce que conteste l’auteur de cette colonne. Les Allemands ne seraient pas « tous capables de mitrailler Asq ou Oradour, de persécuter les israélites… » Il apparaît ainsi que dans les rangs anarchistes on ne sait pas ce qui s’est passé à l’Est. La dernière libération des camps, celui de Theresienstadt aura lieu le 7 mai 1945. Le Libertaire -5- annonce le retour en masse des prisonniers, conséquence de l’ouverture des camps par les Américains et les Soviétiques. Il ne semble pas y avoir de prisonniers juifs ! Mais dans le numéro 6 (juin 45) un article en page 2 intitulé Atrocités nazies reconnaît clairement ce qui vient de se passer et que m’on nommera des années plus tard la Shoah. « Nous n’oublions pas la barbarie cruelle entre toutes qui condamnait, toute une collectivité à l’extermination pour le simple fait qu’elle était d’origine juive, Cet antisémitisme exacerbé n’épargnait pas plus les enfants que les femmes ou les vieillards. Et nous n’avons pas attendu la guerre pour le combattre ». Le reste de l’article compare cela à d’autres traitement criminels, de la guerre des Boers à ceux à la centrale de Clairvaux. La spécificité de l’extermination juive n’est pas encore comprise. Au même moment, le Réveil anarchiste suisse publie dans son numéro clandestin de mai 1945 un texte signé semble-t-il par André Prudhommeaux relatant le fait que « Les journaux regorgent de détail sur les macabres découvertes faites par les Alliés dans les camps de concentration allemands. Il n’est pas douteux, d’ailleurs, que c’est encore pire que ce que les plus pessimistes pouvaient craindre. Dans la longue liste des carnages qu’accompagne l’histoire universelle, les dirigeants du Troisième Reich effacent jusqu’aux plus sinistres souvenirs, tant par le nombre de leurs victimes que par la nouveauté des procédés mis en œuvre pour les exterminer ».
Il semble qu’après ces déclarations un certain silence retombe sur l’horreur. Il en est dans la presse et dans le courant anarchiste comme dans le reste de la société. L’envie de vivre prend le pas sur la nécessité de l’inventaire. Ce silence va durer dans le milieu libertaire longtemps. Pourtant à lire l’excellent livre de François Azouvi Le mythe du grand silence (Fayard 2012) ce n’est pas l’absence d’informations qui pêche. Au contraire. Nous verrons un peu plus loin en ce qui concerne l’histoire de l’Exodus que la position des anarchistes telle qu’elle s’exprime dans le Libertaire du moment perdure encore aujourd’hui.
En 2008 est paru aux Editions de l’Eclat, un ouvrage collectif dont le titre semble clair, Juifs et anarchistes. Pourtant on y cherchera vainement une réflexion sur ce que fut la Shoah où disparurent nombre de compagnons anarchistes et juifs. Dans la recension que je rédigeais au sujet de ce livre peu après sa parution, A contretemps n°35, je disais « La Shoah y est totalement absente, si l’on fait exception des sept lignes que lui consacre Rudolf de Jong dans sa contribution. Sept lignes pour évoquer un événement considérable, une extrême abomination ayant conduit plus de six millions de personnes vers l’horreur. Sept lignes quand le sujet a suscité des myriades de livres. Sept lignes, c’est décidément court pour traiter de la Shoah quand son existence même remit en cause – et pour l’humanité entière, auquel s’accorde le projet libertaire – la possibilité de vivre debout. » Je pense aujourd’hui que l’on peut chercher dans la répétition de cette apparente indifférence les racines du négationnisme que certains petits groupes pratiquèrent dans les années qui suivirent Mai 68. Dérives sur lesquelles nous reviendrons en temps et en heure.
Le Procès de Nuremberg
Cet événement se veut le point final de cette guerre qui a transformé le monde. Il s’ouvre le 20 novembre 1945 et va durer presque un an. Ce procès du nazisme et de ses crimes de guerre va très peu parler des 6 millions de juifs qui en seront les victimes particulières. Le nombre total de victimes a été évalué entre 50 et 80 millions de personnes décédées. Dans un article paru dans le numéro 5 des Cahiers de la Shoah en 2001, l’historienne Anne Grynberg rapporte ce que Jules Isaac (co-auteur des manuels d’histoire Mallet-Isaac) écrit au directeur du Monde, Hubert Beuve Méry le 7 janvier 1946 : « Quelques mois à peine après Auschwitz, on pouvait espérer que le monde civilisé serait secoué jusqu’au tréfonds de l’âme par cet excès de monstruosité sanguinaire, qu’il s’unirait dans un devoir de commémoration et de réparation, que tous ces lieux de torture deviendraient des lieux sacrés pour l’humanité entière. […] Hélas, nous sommes loin du compte. Tant que les Églises et leurs fidèles n’auront pas pris conscience de ces responsabilités initiales chrétiennes, l’antijudaïsme gardera sa virulence ».
Pendant ce temps-là le procès de Nuremberg continue. Le Libertaire de cette période en rendra compte. Dans le numéro du 20 janvier 1946 l’article en première page avec ce titre La Farce de Nuremberg donne le ton. « Les procès politiques du genre de ceux qu’on nous donne en spectacle ne sont pas, cela va sans dire, des opérations de justice mais des moyens de gouvernement ». Une comparaison, pour le moins curieuse, est faite plus loin avec les procès de Moscou. Puis il y a une curieuse exonération des crimes nazis : « Le châtiment des dirigeants nazis constituait l’un des problèmes les plus faciles à résoudre avec dignité et rapidité il suffisait précisément de poursuivre Goering, Rosenberg, Ley. etc. pour leur crime réel, C’est-à-dire la création et la propagation d’une des idéologies les plus malfaisantes et les plus avilissantes que l‘histoire humaine ait connues ; il s’agissait de les condamner en tant que nazis ; point n’était besoin d’un long procès contre ces déséquilibrés du superpatriotisme ». L’auteur continue dans la même veine, ce n’est pas le nazisme que l’on veut punir mais les « crimes de guerre ». Pour lui c’est le « moyen mirifique d’enlever tout sens au procès ». S’il s’agissait de châtier ceux qui se sont conduit en criminels de guerre, dit-il il eut fallu un procès mondial. Il ajoute en écrivant ceci « on espère bien par ce moyen empêcher les citoyens de PENSER ce qui se passe ». Il termine son article comme ceci : « Alors, on commence à comprendre pourquoi les puissants tiennent tant à prolonger et à solenniser la grande farce de Nuremberg ».
Le Libertaire N°43 qui publie un article sur les criminels de guerre proclame en exergue « Les accusés de Nuremberg ne valent pas cher mais leurs juges pas davantage. » L’auteur termine en disant « Non, il n’est pas raisonnable de parler de criminels de guerre. Il y a la guerre tout court et le régime qui l’engendre ! Et une étude approfondie nous conduirait à admettre que tous ceux qui l’ont faite sont des criminels tout court. Mais cela n’a aucune importance. On va immoler à Nuremberg ou ailleurs quelques centaines de premier rôles et grâce à cet acte, de "justice" 2 milliards et demi d’assassins marcheront de par le monde l’âme sereine et la tête haute en oubliant que seule leur lâcheté, en permettant au capitalisme et à l’Etat de se prolonger est à l’origine de l’ascension et des forfaits de tous ceux qu’il est convenu d’appeler des criminels de guerre. »
Dans le numéro du 20 septembre 46 Marcel Lepoil écrira sous le titre De Buchenwald à Nuremberg un article où il dédouane le peuple allemand de toute responsabilité dans ce qui vient de se passer, il ne serait possible que de lui reprocher sa soumission au "fascisme capitaliste".
Le 1er octobre 1946 le verdict de Nuremberg tombe. Un certain nombre d’accusés condamnés à mort vont être pendus dans les 15 jours qui suivent. Le Libertaire et le Réveil anarchiste vont en rendre compte. Il m’a semblé important de reproduire la façon dont ces deux organes vont considérer cet événement.
Voici ce qu’en dit le journal français du 25 octobre :
« Ainsi un certain nombre des responsables de l’immonde tuerie ont été châtiés. Ce n’est certes pas les anarchistes qui s’élèveront pour défendre leur mémoire et trouver le procédé expéditif ou sanguinaire. Pour une fois — la chose vient d’être signalée — nous sommes en plein accord avec le principe de la punition des criminels sociaux. Il serait quand même trop décevant d’assister indéfiniment au triomphe des promoteurs de l’innommable chose et l’homme sensé ne peut qu’applaudir à la mise hors d’état dc nuire de la séquelle criminelle. […] Cependant, notre désaccord ne s’arrête pas ici, il serait vraiment facile — et odieux — de se ruer sur les seuls vaincus et de leur jeter le coup de pied de l’âne, Et les criminels de guerre, que les rangs des vainqueurs recèlent immanquablement, n’ont-ils donc pas, eux aussi, leur part de responsabilité dans le meurtre de CINQUANTE MILLIONS D’HUMAINS ? Resteront-ils impunis ? […] Nuremberg relève de procédés partiaux et répugnants. Condamner les vaincus, absoudre tes vainqueurs, c’est, en définitive, le DROIT MIS AU SERVICE DE LA FORCE. [..]Pour que le jugement et la sentence aient un plein effet moral et physique tant sur les criminels sociaux que ou sur les peuples, il aurait fallu qu’ils fussent spontanés et rapides. Tuer alors que la légitime défense ou ta peur, ne peuvent plus être invoquées, c’est faire œuvre d’assassinat, qu’on le veuille ou non. La fin du Duce fut normale et légitime. Pris en flagrant défit, alors que sa malfaisance pouvait encore se manifester selon un possible et éventuel retour offensif des armées fascistes, Mussolini, bête sanglante et encore dangereuses, devait être abattu sur le champ ».
Le Réveil anarchiste suisse d’octobre 1946 aborde de son côté la même question, celle de la justice :
Après les pendaisons. Les condamnés à mort de Nuremberg ont passé de vie à trépas. Nous ne perdrons pas notre temps à les plaindre, car leur scélératesse n’était pas douteuse. Mais les travailleurs auraient tort de croire que ces exécutions sont la clôture du chapitre des guerres. Si ces quelques coquins finissent ainsi au bout du chanvre, il s’en faut de beaucoup que la paix soit assurée. Toute la clique des fauteurs de guerre, gouvernants et brasseurs d’affaires, continuent leur infâme besogne. Ce n’est donc pas la sentence rendue tn leur nom, avec un luxe tout théâtral, qui doit nous rassurer, car si uni fabrique de cordes a reçu une commande, toutes les usines de canons et munitions du monde fonctionnent à plein rendement. Plus que jamais il faut mener la lutte contre le militarisme, contre le capitalisme, contre l’exploitation.et contre l’esprit de domination sous toutes ses formes.
Le lecteur pourra se demander pourquoi autant de place est accordée ici à ce procès. Les débats et les actes qui ont suivis ont une importance incontournable pour la suite de notre propos. Deux concepts ont été alors définis juridiquement. Celui de crime contre l’humanité et celui de génocide. Il y eut confrontation entre ces deux idées qui avaient déjà vu le jour avant le conflit. C’est le premier qui l’emporta. Au fond le plus facile à faire passer. D’autant plus que le génocide des juifs par les nazis gênait tout le monde aux entournures. Ce qui prit plus tard le nom de Shoah est alors considéré comme une des horreurs commises par les nazis.
A l’issue du procès une charte est adoptée qui définit le crime contre l’humanité qui a lieu « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile ». Fin 1948 les Nations unies adoptent une convention pour la prévention et la répression du crime de génocide visant « des actes commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Il faudra attendre 1994 pour que ce crime soit introduit dans le code pénal français.
Personne au cours du procès ne réalise que c’était le cœur du projet national-socialiste. Pour ceux qui seraient intéressés de creuser le sujet un roman hybride, historique et récit personnel, Retour à Lemberg (Albin Michel) peut aider à comprendre ce qui s’est passé alors. Ce silence est aussi au racines du grand silence fait à cette horreur dans la presse anarchiste du moment. Tout ce qui touche alors à l’Espagne est prioritaire, les crimes du franquisme sont, eux, bien connus.
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L’Exodus
Article paru dans le Monde libertaire de janvier 2019.
Le 11 juillet 1947 un bateau quitte le part de Sète avec des rescapés des camps nazis à son bord. Si sa destination officielle est la Colombie il se dirige en fait vers la Palestine. Son nom fera la une de tous les journaux dont le Libertaire du 14 août 1947 avec ce titre Le drame de l’Exodus. L’article n’étant pas signé il est possible d’en conclure qu’il illustre la position du journal si ce n’est celui de la Fédération anarchiste. Son contenu prête pour le moins à discussion. L’auteur reconnaît que cette histoire, dans cette « période éprouvante » passe presque inaperçue. Le monde aurait-il perdu sa sensibilité après ce qu’il a traversé ? L’auteur veut bien commenter cette aventure mais seulement en posant le problème de fond d’un point de vue libertaire. L’auteur reconnaît que les Juifs du monde entier veulent créer une patrie en Palestine et nous, anarchistes et libertaires, disons que les patries divisent les hommes. Le nationalisme juif ne nous intéresse pas plus que le nationalisme français, anglais, allemand ou russe. Jusque-là il ne s’agit que de l’expression d’un position anarchiste classique. La phrase suivant, plus particulièrement son début, à cette époque-là heurte : Et le racisme juif, cette volonté de créer un monde à part, ce refus de se mélanger à l’ensemble de la race humaine comme s’il s’agissait d’un troupeau de pestiférés… Suit une attaque contre le colonialisme britannique qui, bien qu’il ait ouvert la porte de la Palestine aux juifs avec la déclaration Balfour, empêche l’Exodus de déposer ses passagers en Palestine. Si l’auteur reconnait qu’il s’agit là de victimes, néanmoins leur morale politique n’est pas meilleure que celle de leur persécuteur. A la fin de l’article l’auteur, se défends d’être pour l’impérialisme britannique puisqu’il est contre le sionisme. L’accusation d’être dans ce cas antisémite n’existe pas encore. Pour autant quelques questions se posent. Qui sont les juifs embarqués sur l’Exodus ? il y a 4500 personnes rescapées de la Shoah. Empêchées de débarquer. Le navire sera éperonné par les navires de guerre britanniques. Embarquées sur ces navires, retour en Europe. Les passagers finiront par être internés en zone britannique en Allemagne. Dans cet article du Libertaire il n’y a pas un mot sur les origines de ces passagers, des raisons profondes de leur fuite, de ce à quoi ils ont échappé. Un autre commentaire s’impose. Il concerne ce que l’auteur nomme le racisme juif, ce refus de se mélanger…S’il existait un pays où les juifs s’étaient intégrés complètement à la société, c’était bien l’Allemagne. Il n’est pas nécessaire de rappeler le nombre de morts juifs dans les rangs allemands durant la première guerre mondiale. Les auteurs de ce texte montrent là leur profonde méconnaissance de la société d’Outre-Rhin. La littérature allemande d’avant le troisième Reich porte témoignage de cette situation. Leur incompréhension de ce qui allait leur arriver vient justement de cette intégration. Ce qui était avant-guerre une aberration idéologique, reposant sur un antijudaïsme effréné et multi-séculaire, a changé de nature avec ce qui vient de se passer à Auschwitz, Birkenau et autres lieux effrayants qui prendront bien plus tard le nom de Shoah par balles. La tragédie de l’Exodus est, selon Azouvi, pour beaucoup d’intellectuels qui étaient restés silencieux après 1945, l’occasion d’une session de rattrapage. L’un d’eux, que les anarchistes connaissent bien, Albert Camus va préfacer un livre dont le titre est tout un message Laissez passer mon peuple. Il me faut reproduire ce que dit François Azouvi à ce propos. Tant la position de Camus est à l’encontre de celle du Libertaire et de la FA de l’époque.
Camus non plus n’a pas parlé en 1945 du génocide. Sans doute par pudeur, comme le suggère cette note de ses Carnets, écrite en 1947 après la publication des Jours de notre mort de Rousset : « Ce qui me ferme la bouche, c’est que je n’ai pas été déporté. Mais je sais quel cri j’étouffe en disant ceci. »
Dans cette préface, Camus écrit : [...] Le monde a horreur de ces victimes inclassifiables. Ce sont elles qui pourrissent tout et c’est bien leur faute si l’humanité n’a pas bonne odeur. Voilà pourquoi, continue-t-il, il faut lire le livre de Jacques Mery : parce que c’est un livre gênant, qui empêchera de dormir et de danser en rond. Mais il le faut bien. Qui répondrait en ce monde à la terrible obstination du crime si ce n’est l’obstination du témoignage ».
Pour ma part, relisant cet article du 14 août 1947 je le trouve tout à fait représentatif des positions libertaires sur ce sujet par la suite.
Trois ans plus tard, dans le Libertaire du 11 aout 1950 un grand article en page trois est titré Départ en Israël et signé Moishé Chaym dont le ton est complètement différent. Entre temps le 14 mai 1948, l’Etat israélien est créé. Le Libertaire du 21 mai, en première page annonce cette création. L’auteur parle d’une guerre officieuse puisque tout le monde reconnaît le nouvel Etat. Il reconnaît avec raison que « nous n’en sommes actuellement qu’au début d’une vaste « affaire ». Le numéro suivant, celui du 28 mai titre en première page, Juifs et arabes sacrifiés par les « Grands ». Après un exposé des faits sur lesquels nous reviendrons par ailleurs l’auteur, Gaston, écrit : « Abdallah (roi de Transjordanie à ce moment-là) tyrannise ses propres populations paisibles et étouffe tout rapprochement entre les travailleurs ; la Hagana-Irgoun terrorise les travailleurs juifs enrôlés de force dans une guerre sans issue et brise les réalisations et les espoirs des communes. Seule le rejet de tout nationalisme et l’entente libre des populations travailleuses pourront sauver la Palestine de la barbarie qui va en s’étendant ». Nous consacrerons par la suite un chapitre spécial à la question des kibboutz d’inspiration libertaire et à la façon dont le monde libertaire en parlera.
Moishé Chaym, donc, présenté comme le correspondant du journal à Marseille, interview des jeunes gens qui vont partir en Israël. Le premier, originaire de Metz, raconte que pendant la guerre il est resté caché dans une cave, que la paix revenue il a fait une formation professionnelle qui lui a donné un débouché bien payé mais qu’il ne supporte plus l’étouffante société, qu’il se vit comme un déclassé, qu’il a rencontré certains sionistes, des camarades, qu’il a vécu 16 mois dans une communauté agricole juive établie en France, une dizaine, qu’il veut aller en Israël pour vivre dans un milieu communautaire qui à ma connaissance n’existe que là-bas. Le second interviewé est un militant politique aguerri, membre d’une organisation de gauche radicale, le Hachomer Hatzair (la Jeune garde). M. Chaym va avoir droit à un discours politique structuré présentant la situation politique israélienne, un parti social-démocrate, réactionnaire, puissant au pouvoir avec Ben Gourion. Une opposition toute aussi structurée dont la tâche principale sera de combattre l’Etat qui se dit socialiste pour sauver les réalisations collectivistes. L’article se termine avec cette phrase de Moisché Chaym : Il apparait qu’il est une étude qui reste à faire sur les analogies entre le courant social-sioniste et les autres courants du socialisme révolutionnaire. En bref ce que Koestler n’a pas dit ! Chaym doit faire référence à Analyse d’un miracle qu’Arthur Koestler a consacré à la création d’Israël.
Pierre Sommermeyer