Le problème environnemental, pour ne pas dire la catastrophe, commence enfin
à être reconnu - avec réticence - par certaines instances officielles. Mais la crise
écologique majeure n’est plus pour demain, elle est déjà là. Au menu, réchauffement
climatique, pollutions généralisées, diminution dramatique de la biodiversité et
fin de l’ère du pétrole.
Les organismes qui ont longtemps nié ou minimisé le problème, représentants des
États et du capitalisme, proposent maintenant de le résoudre à leur manière, c’est-à-dire
de manière technocratique et centralisée. Ils en profitent pour développer de juteux
marchés ou renforcer le contrôle exercé par l’État. Ce problème a été dénoncé depuis
plus de trente ans par des écologistes et des libertaires qu’on traitait d’illuminés. Ainsi,
dans les années soixante-dix, des revues comme La Gueule Ouverte ou Survivre et vivre
dénonçaient déjà les dangers de la société industrielle et les dégâts qu’elle cause à l’environnement
et à la communauté humaine ; ainsi, Murray Bookchin introduisait le
concept clef d’écologie sociale.
La rhétorique de la « croissance durable » est un écran de fumée : la croissance
continue supposée par le capitalisme ne sera jamais durable ! Mais un discours sur la
décroissance qui suggérerait que tout le monde doit resserrer sa ceinture de quelques
crans, les exploités comme les exploiteurs, serait inacceptable : prendre au sérieux la
crise de l’environnement exige donc de remettre en question non seulement la croissance,
mais aussi le capitalisme.
Ce numéro de Réfractions analyse des expériences et explore des pistes qui convergent
vers la notion d’autonomie. Des réponses non technocratiques aux problèmes
environnementaux existent, ce sont aussi celles qui favorisent la décentralisation et
l’autonomie (alimentaire, énergétique et organisationnelle) des individus et des groupes
; bref, celles qui sont porteuses d’une émancipation vis-à-vis du capital et de l’État.
Ainsi, depuis quelques années, une mosaïque de petites expériences agricoles collectives
a vu le jour, à côté d’autres déjà bien rôdées. Plus qu’un simple « retour à la
terre », ces expériences sont un moyen de nous réapproprier nos vies par la racine, en
utilisant l’autonomie comme un outil pour s’émanciper du système capitaliste.
L’énergie et les transports sont des enjeux de pouvoir. D’un côté, leur contrôle
assure une puissance stratégique ou financière, de l’autre, ils peuvent être un instrument
de libération, à condition qu’ils soient des outils d’autonomie. L’enjeu est
d’autant plus important que les limites environnementales à leur utilisation sont de
plus en plus palpables. Mais, de leur côté, les puissants, que les contradictions n’étouffent
pas, ne restent pas inactifs. Sans vergogne, un « capitalisme vert » est en train
d’émerger, profitant d’un début de panique environnementale pour convertir méthodiquement
toutes les revendications écologistes en marchandise. Quant aux États, ils
s’accommodent fort bien des demandes d’intervention dans ces questions. L’étau des
réglementations se resserre, présageant d’une société de plus en plus contrôlée. Une
alliance entre « État vert » et « capitalisme vert », qui pourrait demain déboucher sur
une techno-écologie autoritaire et inégalitaire.
Aujourd’hui déjà, la grande machine du
« progrès » technico-industriel n’en finit pas d’inventer de nouvelles techniques pour
tenter de colmater les bavures des précédentes. Dernière trouvaille, les nanotechnologies,
dont on ignore presque tout des risques pour la société et pour l’environnement.
Les exemples donnés dans ces articles montrent que les exigences de la sauvegarde
de l’environnement et celles du changement social renvoient les unes aux autres : c’est
en abolissant l’exploitation et la compétition au sein de la société humaine et en favorisant
l’autonomie des individus et des groupes qu’on développe les solutions les plus
favorables à l’environnement. On trouve ici une confirmation des apports de l’anarchisme
classique, ceux d’Élisée Reclus dans sa géographie universelle humaine, ou ceux
de Pierre Kropotkine dans sa vision coopérative du monde vivant, et d’excellents compléments
aux thèses d’un des représentants les plus originaux de l’anarchisme du
XXe siècle, Murray Bookchin.